- A la Délégation de l’Afrique de l’Ouest de l’OIF à Lomé - Togo
- © Arnaud Galy - Agora francophone
N’en déplaise à ses détracteurs, la francophonie dont l’essence est le parler français était conçue, concoctée par des pères fondateurs africains, asiatique et québécois (1) au moment où la plupart des anciennes colonies françaises et belges ont accédé à leur indépendance. Il est à rappeler que Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal, a déclamé dans son article « Le français, langue de culture » de la Revue Esprit de novembre 1962, cette fameuse phrase « Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit la Civilisation de l’Universel, il est, d’un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime colonial. De cet outil qu’est la langue française ». Au même moment et à 10 000 km du Sénégal, le Roi cambodgien, Norodom Sihanouk a appelé à un rassemblement des parlants français dans le monde.
Comment la langue française a-t-elle pu susciter autant d’enthousiasme de la part de ces Hommes d’Etat qui se sont battus contre l’Empire colonial français ? Le projet francophone international lancé par les pères fondateurs se voulait, dès ses débuts, multilatéral, dépassant les relations bilatérales avec l’ancienne Métropole qu’est la France. Il a été justifié par la dimension mondiale de la langue française car cette dernière était déjà parlée sur les 5 continents. Mais ce statut international du français ne suffit pas dans son choix comme lien et socle communautaire par ses promoteurs. En définitive, le projet de francophonie internationale était indissociable d’un certain nombre de valeurs, d’une conception humaniste portée par la langue française, langue d’esprit, langue des Lumières en France comme en Europe, langue de liberté par opposition à tout obscurantisme qui prend de plus en plus d’importance particulièrement dans une période d’inquiétude. Il est à souligner que le français était le support par excellence de la Révolution française 1789 avec le choix de la démocratie par rapport à la royauté, des droits de l’Homme et du citoyen que l’on voit se développer actuellement avec la revendication de l’égalité homme femme bafouée dans certains nombres de pays. L’histoire du mouvement francophone multilatéral depuis une cinquantaine d’années nous permet de voir qu’elle était aussi une réponse à un besoin d’alternative à l’hégémonie anglo-saxonne portée par une seule langue, l’anglais « globish ». Les francophones avaient besoin de se rassembler pour porter haut et fort leur vision du monde, leur universalisme humaniste dont les valeurs fondamentales sont la diversité, la solidarité, l’égalité et la liberté.
- La douceur togolaise
- © Arnaud Galy - Agora francophone
C’est justement cette langue de l’esprit qui correspond bien à l’idée de « noosphère » de L.S. Senghor et qui a toujours porté le projet francophone international contre vents et marées. En effet, il y en avait beaucoup depuis le début du mouvement francophone. Il est à rappeler que les pères fondateurs africains avaient du mal à convaincre la France de mettre en place une organisation politique francophone. A la place, ils ont dû se contenter d’une modeste Agence de coopération culturelle et technique (dont le nom ne comporte pas les adjectifs « francophone », « international ») créée le 20 mars 1970. Cette Agence est à « mille lieux du rêve de LS Senghor », comme le disait Jean-Marc Léger, son premier Secrétaire général. La France des années 1970 a préféré les relations privilégiées bilatérales avec l’Afrique, en témoigne la création du Sommet France-Afrique en 1973 sous la présidence du Président Georges Pompidou. Et puis, le Canada n’a pas souhaité non plus une francophonie multilatérale avec la présence du Québec. Enfin, plusieurs pays du Sud francophone n’étaient pas prêts à une politisation francophone. L’Algérie n’a jamais fait partie de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie). Il fallut attendre l’élection du Président François Mitterrand pour que la francophonie puisse faire partie des politiques publiques françaises avec la création du Haut Conseil de la Francophonie en 1984.
Il est très rare qu’une langue issue d’une puissance coloniale s’impose comme une cause politique et une raison de solidarité comme c’est le cas du français. Nous n’oublions pas que cette langue a été imposée en Afrique, en Océanie, en Asie et ailleurs. Cette langue a aussi participé à l’effacement des langues et culture locales. Nous comprenons aussi qu’au nom de l’autonomie et de l’indépendance des peuples, la langue française était bannie et marginalisée dans plusieurs pays d’anciennes colonies françaises. Nous ne nous opposons pas non plus à l’idée qu’il faudrait décoloniser ou « déraciser » la langue française qui n’est pas incompatible avec la promotion et la défense des cultures et des langues dans l’espace francophone. C’est justement dans cet esprit d’ouverture et de solidarité que la francophonie doit s’incarner à travers le partage de la langue française. En fin de compte, ce sont ses locuteurs qui décident de son avenir.
Il ne s’agit nullement de défendre ici un repli sur soi dans une perspective étroitement nationaliste car l’ouverture sur d’autres langues (dont l’anglais) est utile voire nécessaire mais l’objectif est plutôt de protéger notre langue en évitant notamment qu’elle soit remplacée par l’anglais lorsque cela n’est pas nécessaire et s’avère parfois ridicule lorsqu’on entend par exemple dans les media parler de "story" à la place "d’histoire" ou de "live" au lieu "d’en direct". Ajoutons que cette pratique fleurit dans les publicités, sur les magasins et qu’une partie de la population n’en comprend pas le sens. Il faudrait qu’il y ait au moins la traduction en français. Ceci est d’autant plus contradictoire que ces remarques ont été formulées par l’Académie française, qu’elles ont été soulignées par l’actuel Président de la République française lors de son discours de Villers-Cotterêts, Cité internationale de la langue française, et qu’il y aura d’ici quelques jours à Paris un Sommet de la Francophonie.
Défendre la langue française ne signifie surtout pas le fait de défendre le purisme linguistique étant donné que la langue française est langue première comme langue seconde de plus en plus de populations en dehors de la France et en Afrique en particulier. Le français doit être aussi une langue ouverte aux variations des parlers français dans le monde.
Défendre la langue française s’incarne aussi dans nos efforts pour améliorer continuellement la qualité de son enseignement à l’école en France comme dans le monde. Pour y arriver, la solidarité francophone à travers des actions de coopération bi et multilatérales s’avère nécessaire.
Il est temps de dissiper les amalgames. Non, la langue française n’est pas que la langue coloniale. Elle est aussi une des 6 langues internationales reconnues par l’ONU, une des 5 langues mondiales d’après l’OIF, la langue officielle ou coofficielle de 32 pays et territoires dans le monde et parlée par plus de 320 millions de locuteurs, une langue en progression au XXIè siècle. Il y a toujours une demande importante d’apprentissage du français dans et hors la Francophonie, regroupement des pays ayant le français en partage.
Dans le contexte actuel du monde où des valeurs républicaines comme la démocratie et la laïcité sont plus que jamais menacées, les valeurs de base de la francophonie des pères fondateurs restent profondément actuelles. La solidarité francophone n’a du sens que si elle s’appuie sur des valeurs historiquement portées par la langue française. Il n’y a pas de honte à défendre et construire une francophonie humaniste sans quoi tout projet portant le mot « francophone » sera vite banalisé et hors-piste.
1) Il s’agit de (I) Léopold-Sédar Senghor (1906-2001), ancien Président du Sénégal de 1960 à 1980, (II) Habib Bourguiba (1903-2000), ancien Président de la Tunisie de 1957 à 1987, (III) Hamani Diori (1916-1989), ancien Président du Niger de 1960 à 1974 et (IV) Norodom Sihanouk (1922-2012), ancien Chef d’Etat (1960-1970) et ancien Roi du Cambodge (1993-2004). Une autre personnalité, le québécois Jean-Marc Léger qui n’était pas chef d’Etat considéré souvent comme un père fondateur de la Francophonie du fait de ses grandes contributions dès les premiers moments du projet francophone multilatéral.
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