Un métier, une mission, un réflexe de solidarité
Lors des récentes révoltes populaires de la GEnZ à Madagascar, les femmes journalistes ont prouvé qu’elles ne sont pas des « fanaka malemy », « meubles fragiles » selon l’adage malgache quand on parle de femmes. Sur le terrain, aucune différence entre hommes et femmes : toutes et tous ont affronté la peur, les insultes et la fatigue, avec la même détermination. Mais la solidarité féminine a apporté une touche unique de résistance et d’organisation. « Pendant cette crise, l’AFJM a essayé de fédérer tout le monde, de protéger tout le monde. Il y avait des journalistes favorables au mouvement et d’autres non, mais nous avons tenu à maintenir un regard professionnel, pour éviter les dérives », explique Nadia Raonimanalina, vice-présidente de l’association. Dans le chaos, les femmes journalistes ont su faire bloc : 150 gilets de presse ont été distribués et un « coin presse » tenu pour que les reporters puissent boire, se reposer, se protéger et s’entraider. Pour ces professionnelles souvent livrées à elles-mêmes, cette coordination spontanée a été une question de survie et de dignité.
Un autre regard sur la crise
Si la couverture d’une révolte populaire impose prudence et rigueur, elle révèle aussi des nuances dans la manière d’informer. Les femmes journalistes malgaches ont su poser un regard différent sur la crise, plus attentif à l’humain qu’au spectaculaire. « On se donnait des informations en permanence : où sont les lacrymogènes ? où sont les accrochages ? » raconte Malala Tsa de la radio FM 100.8. « J’étais la seule femme sur le terrain, entourée d’hommes. Le premier jour, j’ai eu peur, mais le deuxième, c’est l’adrénaline qui a pris le dessus. Je voulais que le peuple voie la vérité », confie Sariaka, journaliste à Radio Soleil Fianarantsoa avant de continuer « vous savez, il n’y a ni femme ni homme sur terrain, quand il faut courir, on court. Quand les lacrymos explosent, c’est pour tout le monde. Mais moi, je garde toujours mon indépendance, ma personnalité et ma foi. ». Ce témoignage rejoint celui de Mamitiana Andriambololona, journaliste de terrain aguerrie « contrairement aux crises de 2009 ou 2018, je me suis sentie plus calme et plus concentrée. Les gaz étaient plus irritants, la pression plus forte, mais j’ai tenu, car le public mérite une information juste et humaine. » La dimension humaine et la sécurité sont à prendre en compte, car ce sont les journalistes qui permettent au public de connaître la réalité des faits.
Leur regard, souvent plus empathique, privilégie les récits des vulnérables à l’exemple de Mikolo qu’aucune journaliste n’a raté, un jeune garçon à genoux récitant toutes les demandes de la GenZ en un cri de cœur devant forces de l’ordre et la presse. Là où d’autres captent la violence brute, elles cherchent à comprendre les causes sociales, éducatives et morales des révoltes. Mieux, quand un des leurs a été tabassé par les forces de l’ordre, ce la a fait l’objet de cris, de rappels à l’ordre de leurs parts, d’un mouvement solidaire pour dénoncer l’acte.
Des risques assumés, une éthique affirmée
Ces femmes n’ont pas seulement affronté la peur, elles ont affronté les regards et les jugements. « Certains pensent qu’une femme ne devrait pas être là, qu’elle doit rester au bureau. Mais c’est notre métier, et nous le faisons avec passion », dit Sariaka. « J’ai failli mourir le 15 octobre, entre deux feux : la CAPSAT d’un côté, la gendarmerie de l’autre » renchérit Malala. « Nos rédactions voulaient du direct avec les moyens du bord, donc tu fais du direct » dixit Mamitiana. Elles racontent aussi les menaces et la pression sauf qu’elles ont tenu bon, avec cette hargne qui les pousse à continuer. Elles savent que l’information, dans un pays en crise, peut sauver des vies. « Le rôle du journaliste en période de crise est d’informer, mais aussi d’apaiser », souligne Sariaka. Quand une rumeur circulait sur une jeune fille prétendument violée par les forces de l’ordre, j’ai enquêté pour apaiser les tensions ». Ce sens de la responsabilité, cette recherche de vérité, sont au cœur de leur engagement. À Anja de Majunga et ses collègues aussi d’aller chercher des cadrages spécifiques pour leurs prises de vue afin de ne rien rater au risque de leurs vies. Elles étaient trois à Majunga à se cacher, juchées sur un toit pour filmer le pillage massif du 25 septembre. « Comment on fonctionnait ? Deux de nos collègues ont été emmurés au desk, oui emmurés car le propriétaire a soudé la porte ne voulant risquer aucune casse. Comme moyens de contact ? Un petit fil avec un sachet pour mettre les matériels de rédaction à vérifier et renvoyer ».
Un leadership féminin assumé
Aujourd’hui, les femmes journalistes occupent tous les postes ainsi que des postes-clés dans le paysage médiatique malgache. On compte des reporters, des journalistes reporters d’image, des voix off, des rédactrices en chef, des directrices de rédaction, des gérantes de station audiovisuelle ou propriétaire de station. Toutes ne partagent pas toujours les mêmes opinions politiques, mais elles incarnent toutes la montée en puissance du leadership féminin dans les médias. Elles montrent qu’être femme journaliste à Madagascar, c’est avant tout assumer sa voix et sa place dans le débat public.
Un métier de courage, un métier d’avenir
De 1991 à 2025, la presse malgache a traversé crises, menaces et silences. Mais jamais les femmes journalistes n’ont été aussi visibles, aussi solidaires, aussi déterminées. Elles couvrent la révolte, la jeunesse, la misère, mais aussi l’espoir. Elles défendent l’éthique, la déontologie, la vérité. Leur regard ne se veut pas « féminin » mais profondément humain. Elles ne font pas de concession, osant s’interpeller entre elles, et leur combat ne vise pas seulement la place des femmes, mais la place du journalisme lui-même dans une société en quête de vérité et de paix. Être femme journaliste à Madagascar, c’est démontrer qu’on assure. Ce n’est pas un féminisme de façade.
- © Mika Sarry Full pour journalistes en fuite