- Tülay Torun
J’exprime mon soutien inconditionnel à Pınar Selek, sociologue, écrivaine, féministe et militante turque, injustement poursuivie depuis plus de vingt-cinq ans par la justice de son pays.
Tülay TORUN
Une chercheuse engagée pour les sans-voix
Née à Istanbul en 1971, Pınar Selek appartient à cette génération d’intellectuels turcs qui ont voulu donner un visage humain à la sociologie. Diplômée de l’Université de Mimar Sinan, elle consacre ses travaux aux minorités opprimées : enfants des rues, Kurdes, femmes, travailleuses du sexe, réfugiés, personnes transgenres. Son approche, à la fois scientifique et profondément humaine, la distingue dans un pays où la recherche critique se heurte à la censure et à la répression.
Ses enquêtes de terrain, menées dans les quartiers populaires d’Istanbul, témoignent d’une volonté rare : comprendre avant de juger, écouter avant d’étiqueter. Dans ses écrits, elle donne une place à ceux que l’histoire officielle efface. Cette éthique de la dignité la place dans la lignée des grands penseurs humanistes du XXᵉ siècle.
Un procès sans fin
En juillet 1998, une explosion survient au marché aux épices d’Istanbul. Sans preuve, la police accuse Pınar Selek de complicité avec le PKK, prétexte commode pour museler une intellectuelle indépendante. Elle est arrêtée, torturée, puis emprisonnée pendant deux ans et demi avant d’être relâchée faute d’éléments.
Vingt-sept ans d’acharnement pour un crime qui n’existe pas. C’est le triste record que détient la Turquie avec Pınar Selek, sociologue et écrivaine. Accusée d’avoir participé à une explosion survenue à Istanbul en 1998 — explosion que toutes les expertises ont depuis qualifiée d’accident — elle a été acquittée à quatre reprises. Mais le procureur, infatigable, fait de chaque acquittement un nouveau départ : on rejoue sans fin la même pièce, tragique et grotesque. Prochain acte annoncé : 2 avril 2026.
Il paraît qu’en Turquie, certaines vérités ont la vie aussi dure que les femmes qui les portent.
Pınar Selek vit aujourd’hui en exil en France, où elle poursuit ses activités de recherche et d’enseignement à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales), tout en menant un travail de création littéraire et militante.
Une figure de la résistance intellectuelle
À travers ses ouvrages : Devenir un homme en rampant, Parce qu’ils sont arméniens, Service militaire en Turquie et construction de la virilité, La maison du Bosphore, Pınar Selek interroge la mémoire, la masculinité, le patriarcat et la violence d’État. Sa pensée rejoint celle de Simone de Beauvoir, qui rappelait que « nul ne naît libre, il le devient ».
Comme Yılmaz Güney, elle incarne cette Turquie rebelle, lucide, qui refuse le compromis avec la peur.
Comme Selahattin Demirtaş, elle fait de la prison ou de l’exil non un lieu d’effacement, mais un espace de résistance et de poésie. Et comme Françoise Giroud, elle croit que la liberté n’est jamais un don : c’est une conquête quotidienne, souvent solitaire, toujours nécessaire.
Un symbole universel
L’affaire Pınar Selek dépasse le cadre turc. Elle questionne la liberté académique, le droit à la pensée
critique, l’indépendance de la justice et la responsabilité internationale face à la répression des intellectuels. De nombreuses institutions et ONG — FIDH, PEN International, Amnesty International, Reporters sans frontières, la Ligue des Droits de l’Homme, ainsi que plusieurs universités européennes — ont déjà pris position pour dénoncer cette injustice et demander l’abandon définitif des poursuites.
Les autorités turques doivent abandonner toutes les charges à l’encontre de Pınar Selek ; les institutions européennes et suisses à faire pression diplomatique pour la protection de ses droits fondamentaux ; les médias, chercheurs et citoyens s’attacher à faire connaître son combat et à refuser le silence complice.
Parce que la liberté de penser ne se négocie pas
Soutenir Pınar Selek, c’est défendre la dignité du savoir, la liberté d’expression et le droit à la dissidence. C’est affirmer que la recherche n’a de sens que si elle reste libre, et que le courage intellectuel ne doit jamais devenir un délit.« Quand la justice se tait, la parole devient résistance. »
Pınar SelekNous resterons debout, à ses côtés.
Pour Pınar Selek.
Pour la vérité.
Pour la liberté.
