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TCHAD - Retour sur l’année 2016-2017

TCHAD - Retour sur l’année 2016-2017

14 novembre 2016 - par Fidel Mingar Monodji 
 - © Flickr - @rno
© Flickr - @rno

Avec une performance diplomatique exceptionnelle, qui lui a permis de prendre en main la destinée politique de l’Afrique cette année, le Tchad reste malgré tout un pays fragile et rongé à l’intérieur par d’innombrables crises : grogne sociale régulière, agitations politiques constantes, manifestations fréquentes des jeunes de plus en plus connectés sur les réseaux sociaux. S’ajoute à cette chaîne de malaise, la contestation de l’élection présidentielle du 10 avril dernier par l’opposition et la société civile. C’est donc dans ce climat social délétère que le 8 août dernier le président réélu a prêté serment devant une dizaine de ses pairs africains. Ce 5e mandat de l’homme fort de N’Djamena, en pleine crise économique, risque fort d’ébranler ce pays considéré comme un « îlot de paix » dans un océan d’insécurité que constitue la bande sahélienne.

Le "toujours président" Idriss Deby (Ph : Flickr - Gvt ZA)

POLITIQUE

Une année d’élection surtout présidentielle en Afrique reste synonyme d’éventuelles crises politiques. Le Tchad n’en a pas échappé à la règle. Depuis l’élection du 10 avril 2016, qui a vu la victoire du président sortant Idriss Deby Itno avec 51 % des voix, toute l’opposition, et en particulier les candidats malheureux, mène une agitation politique de temps à autre pour se faire écouter. Même s’ils sont considérés comme de mauvais perdants, ces derniers ont tenté d’organiser la contestation jusqu’à la veille de l’investiture de Idriss Deby. La réaction policière qui s’en est suivie a causé la mort d’un jeune manifestant le 7 août 2016. Une fois investi, le président Deby a reconduit son chef de gouvernement, Albert Pahimi Padacké, qui n’est autre que le président d’un parti allié. Trois jours plus tard, ce dernier a composé un nouveau gouvernement de 38 membres où tous les proches du régime ont gardé leurs places.

Si le chapitre élection est clos avec l’investiture du président de la République, le débat politique quant à lui continue de plus belle. Les sujets de controverses et de contestations débordent. Car le gouvernement, lors d’un Conseil de ministres extraordinaires, a pris 16 mesures de réformes d’urgence. Ces mesures concernent l’économie, la qualité de vie, les institutions et le capital humain. Au-delà de ces mesures qui vont sans doute créer des crispations dans les semaines à venir, il y a l’épineux problème de « débat inclusif » demandé par les Nations-Unies et exigé par l’opposition. Ce dernier risque de réanimer véritablement les tensions entre un pouvoir déterminé à ne rien laisser et une opposition en crise de leadership qui tente de résister, plutôt d’exister.
Loin de ce climat politique morose, les Tchadiens en général et les victimes de l’ex-dictateur Hissein Habré se sont réjouis il y a quelques mois à l’annonce du verdict du jugement de ce dernier. Les victimes ont accueilli ce 30 mai 2016 avec satisfaction le verdict de la Chambre africaine extraordinaire (CAE) dans ce procès historique, les opposant au vieux dictateur de N’Djamena. En effet, le 30 mai dernier Hissein Habré a été reconnu coupable de « crimes contre l’humanité », de « crimes de guerre » et de « viols ». Il a été condamné à la réclusion à perpétuité, servant d’exemple à d’autres despotes du continent. Signalons que le jugement de Hissein Habré est arrivé 25 ans après sa chute, à Dakar au Sénégal. (Lire vidéo)

L’année 2016 a aussi révélé les fruits de la « diplomatie active » prônée par le Tchad. Car depuis quelques années, le Tchad s’est doté d’une « diplomatie agissante et cohérente et des capacités militaires performantes mises gracieusement au service de la sécurité en Afrique et dans le monde ». C’est le « levain de l’action diplomatique du Tchad » ! Ainsi, son président Idriss Deby a pris, au nom du Tchad, la présidence de l’Union africaine pour une année. Le Tchad a aussi réussi à placer l’un de ses talentueux diplomates, en la personne de Mahamat Saleh Annadif à la tête de la Mission des Nations Unies pour le Soutien au Mali (MINUSMA, cf. résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations-Unies). Il devient le 3e chef de la Mission onusienne au Mali après le Néerlandais Bert Koenders et le Tunisien Mongi Hamdi. Mahamat Saleh Annadif qui occupe la direction de cette mission de maintien de la paix de 12.640 personnes, dont 1100 Tchadiens n’en est pas à sa première. Il a eu à diriger des telles missions en Somalie, au Niger et en République centrafricaine. À la suite de Mahamat Saleh Annadif, la diplomatie tchadienne s’est imposée à la 11e session extraordinaire des Chefs d’État et gouvernement de l’Autorité du Bassin du Niger le 8 janvier dernier à Cotonou (Bénin). La Tchadienne Toupta Boguena, ex-ministre de la Santé, a été désignée Secrétaire Exécutive. C’est pour la première fois que le Tchad occupe ce poste. Toujours dans cette lignée de la victoire diplomatique, le Tchad a réussi cette fois-ci à prendre la direction de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), plus de 50 ans après sa création. À l’issue de sa 27e session extraordinaire des Chefs d’État de la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), Abbas Tolli, ancien ministre des Finances et neveu du président, a été désigné comme Gouverneur de la BEAC. Il succède ainsi à l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama. Abbas Tolli qui prendra fonction en janvier 2017 n’est pas un inconnu dans le milieu. Il a servi à la BEAC comme Secrétaire Général en 2008. Actuellement, il préside la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC). Au crédit de la diplomatie tchadienne toujours, N’Djamena a accueilli le Sommet du G5 en présence des cinq Chefs d’États des pays concernés (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). La lutte contre la criminalité transfrontalière et la secte Boko Haram étaient au rendez-vous. Ainsi, grâce à sa diplomatie active, le Tchad a positivement brillé à l’extérieur, mais force est de constater que les 12 mois écoulés ont été émaillés des contestations sociales et arrestations des activistes de la société civile.


Mahamat Saleh Annadif, le nouveau patron de la MINUSMA interrogé par Radio Mikado FM - ONU (Ph - MINUSMA)

SOCIÉTÉ

Le viol de Zouhoura, le 8 février dernier, par cinq jeunes du clan présidentiel a fait monter d’un cran la tension sociale. L’agression sexuelle dont a été victime cette jeune fille de 16 ans a créé une vive indignation dans tout le pays. Et la vague de manifestation de jeunes de plus en plus connectés aux réseaux sociaux qui s’en est suivie est sans précédent ; obligeant même le président de la République à intervenir pour la 1ere fois sur Facebook pour demander l’accalmie. Aussi, chose inédite, le président Deby a limogé son frère cadet Saley Deby qui s’est imposé à la direction des Douanes et est accusé par la justice d’un détournement de plus de 125 milliards de francs CFA (environ 20 millions de dollars). Ce dernier a défrayé la chronique et suscité la colère bleue de la population. Au-delà de ces manifestations, la jeunesse n’a fait qu’exprimer son ras-le-bol envers les actes d’impunité et d’injustices sociales qui caractérisent le régime d’Idriss Deby.

Suite à ces manifestations et contestations parfois violentes, certains leaders des mouvements et syndicats tels que « Ça suffit », « Trop c’est trop », « Iyina » et l’Union syndicats du Tchad (UST) ont été arrêtés et condamnés à quatre mois de prison avec sursis le 14 avril dernier. Si par cette condamnation l’État a réussi à faire baisser la tension au niveau des jeunes, il est loin de savourer victoire. Car l’UST et les autres syndicats professionnels continuent de mettre la pression et les grèves se multiplient sans cesse. La plus spectaculaire de ces grèves est celle des agents de l’Office national des radiodiffusions et télévisions du Tchad (ONRTV). Pour la première fois, le personnel des deux grands médias publics (RNT & TVT) est entré en grève pour trois jours renouvelables au mois de juillet dernier. Il faut le souligner aussi, que le secteur de l’éducation nationale et de la santé sont les plus touchés. Au niveau de l’enseignement supérieur, plusieurs universités et instituts universitaires sont en grève depuis plusieurs mois. L’on compte parmi eux, l’université mère de N’Djamena qui est aux arrêts depuis la grève déclenchée par les étudiants et les enseignants il y a presque six mois. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la grève générale déclenchée par la centrale syndicale UST depuis le 8 août continue.

ÉCONOMIE

Au chapitre économique, le pays continue sa traversée du désert. Les finances sont au rouge et l’économie boite. Le trésor public non seulement n’est pas en mesure de payer les fonctionnaires à temps, mais se sent impuissant de rembourser la dette des investisseurs nationaux et étrangers ; augmentant ainsi le nombre des chômeurs déjà inquiétant après les licenciements opérés par les entreprises pétrolières. À cette situation critique, s’ajoute le déficit budgétaire de cette année qui s’élève à plus de 181 milliards de francs CFA. Le collectif budgétaire 2016 se présente désormais en ressources à la somme de près de 1.116 milliards, et en dépenses à la somme de 1.296 milliards de francs CFA. C’est cette situation critique qui a poussé la Banque africaine de développement (BAD) a accorder une aide budgétaire de 52 millions de dollars (26 milliards de FCA) au pays de Deby. Cette bouffée d’oxygène n’a sans doute pas résolu le problème de la crise économique actuelle. La preuve est que le Conseil extraordinaire des ministres de fin août dernier a pris 16 mesures d’austérité. Ces mesures d’austérité visent à redresser l’économie tchadienne en berne depuis quelques années. Elles touchent : la restructuration des délégations régionales et des organismes sous tutelle en charge de la jeunesse, du tourisme, de la production agricole à la révision des critères d’attribution des bourses des étudiants de l’intérieur ou la réduction de 80 % des indemnités de tous les décrétés, du parc automobile de l’État, de la taille des organigrammes des ministères ou encore du lancement des audits de diplômes et audit organisationnel des projets et programmes. Les Tchadiens doivent se souvenir de cette déclaration du président Idriss Deby à l’occasion de la dernière fête de Tabaski : « le temps de la vache grasse est terminé » ! En clair, il importe de dégraisser tous les secteurs budgétivores et de faire la cure dans l’administration publique. Car le pays fait face à une baisse considérable des recettes pétrolières en cette période de chute du baril. Et pourtant, on se rend compte que l’armée qui dévore le plus de fonds n’a pas été touchée par ces 16 mesures d’austérité. Ce qui a créé un sentiment d’injustice chez la population. Le sacrifice de tous s’impose en ce moment.


Le massif de l’Ennedi classé par l’UNESCO (Ph : Flickr - David Stanley)

CULTURE - SPORT

Le Tchad a un nouveau site classé au patrimoine mondial par l’UNESCO. Il s’agit du massif de l’Ennedi avec ses nombreuses peintures rupestres, dans le nord-est du Tchad. C’est le second site tchadien après celui des Lacs d’Ouniangan (large complexe de lacs de 62.808 hectares) en 2012. Mais cette bonne nouvelle n’a pas fait oublier la sanction qu’écopent les Sao du Tchad version football. En effet, déclaré forfait pour les trois dernières journées des qualifications de la prochaine Coupe d’Afrique des nations au Nigeria (CAN 2017), le Tchad a été sanctionné par la Confédération africaine de football (CAF) pour les trois autres prochaines éditions. Le pays des Sao a décidé à la surprise générale d’abandonner la suite de la compétition pour « manque d’argent ». Cette décision qui ressemble fort à un coup de grâce donné au foot tchadien n’a pas satisfait la population dont l’État soustrait 1 FCFA au quotidien sur chaque appel téléphonique émis. Le Fonds national pour le développement du sport (FNDS, cf. Ordonnance 11-011 2011-02-24 PR), qui s’occupe de la gestion de ce fonds a préféré garder silence devant cette décision lapidaire. Mais grande est la surprise, désolation et frustration des amoureux du ballon rond d’apprendre quelques mois plus tard, que leur pays va sponsoriser le FC Metz (France) pour trois ans. Un partenariat particulier, qui a surpris le monde du sport roi. Car vraisemblablement, il s’agit d’un pays pauvre, ayant déclaré son équipe nationale forfait pour manque d’argent, qui a eu l’audace de financer un club d’un pays du G7. C’est le paradoxe tchadien, dit-on ! Et ce fameux partenariat aurait pour objectif de « mieux faire connaitre le Tchad » en gommant son « image négative » par le slogan « Tchad, oasis du sahel » que le FC Metz affichera désormais sur son maillot. Ainsi va le Tchad.

Sur le plan artistique, N’Djamena a accueilli plusieurs festivals qui ont fait vibrer la jeunesse de la capitale. La 3e édition du Festival N’Djam s’Enflamme en Slam placée sous le signe de la Francophonie a réuni plusieurs slameurs locaux et trois slameurs étrangers. Il s’agit de Phatal du Cameroun voisin, de Microméga Bandefu du Congo et de Malika, la dame aux paroles de feu du Burkina Faso. Ce festival a pour particularité d’organiser des compétitions et des matchs entre participants ainsi que des ateliers workshops. Signalons que, l’ouverture de ce festival, des « grandes gueules », a été faite par son promoteur, le médecin Didier Lalaye alias Croquemort le vendredi 18 mars à l’Institut français du Tchad. L’autre festival qui a aussi rythmé la jeunesse N’Djamenoise est le Dari’Awards. Ce festival créé par mademoiselle Félicité Naissem est à sa deuxième édition et a eu à couronner six artistes dans six différentes. Enfin, le festival littéraire Souffle de l’Harmattan a tenu à sa promesse. La 2e édition a eu lieu tant bien que mal à la Maison de Culture Baba Moustapha et a réuni un nombre considérable des jeunes écrivains sous la direction de son promoteur Sosthène Mbernodji. Enfin, et toujours sur le plan littéraire, la 2e édition du Prix Joseph Brahim Seïd du nom de ce célèbre écrivain Tchadien a été organisée cette année encore par l’Association pour le développement culturel (ADEC). La remise du prix a eu lieu le 18 juin dernier à la Maison de la Femme à N’Djamena. Le 1er prix d’une valeur de 1 million de FCFA (environ 1500 dollars) a été remporté par le jeune nouvelliste Haki Rozzi Ali. Le 2e prix a été remis à Djimotoum Yonoudjim Yanick, et le 3e prix a été décerné à Nedingan Naibei David. Pour son promoteur, Me Bechir Madet, l’occasion est belle pour interpeller la jeunesse tchadienne : “le 18 juin 2016 soit pour les jeunes Tchadiennes et Tchadiens un appel à l’écriture, à la littérature pour qu’ensemble avec la France et toutes les personnes ayant en partage la langue française, nous puissions défendre notre langue de culture véhiculant les valeurs de la paix et de la démocratie”. Rappelons que ce prix littéraire est organisé pour rendre hommage au célébrissime conteur et poète tchadien dont il porte le nom. Il a aussi pour but d’encourager la jeunesse dans la littérature et de faire la promotion des auteurs tchadiens.

Fidel Mingar Monodji
Enseignant à l’École Nationale d’Administration (ENA- Tchad)
mingarmonodji@gmail.com

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