Une Francophonie du 21ème siècle, plurielle, vivante et ouverte sur l’ensemble du Monde
Dans une tribune publiée le 16 juillet dans l’hebdomadaire Politis, Nadège Abomangoli, vice-présidente insoumise de l’Assemblée nationale, et le député LFI du Val-d’Oise Aurélien Taché, appellent à « en finir avec une certaine idée de la francophonie ». Laquelle ? Celle qu’ils décrivent comme « élitiste, réduite à des sommets diplomatiques stériles et à une image nostalgique d’une France coloniale idéalisée ». Ils appellent à refonder la francophonie autour d’une langue « créolisée », portée par l’Afrique, loin de la conception actuelle qu’ils jugent « élitiste » et « héritée de la colonisation ». On croit rêver !!!
Soit, ils sont ignares sur ce qu’est la Francophonie aujourd’hui, soit ils ne font que répéter la voix de leur maître Mélenchon, qui lui n’est pas ignare, mais qui insère ses propos dans une stratégie de conquête du pouvoir, pas directement, mais indirectement, car il sait qu’il heurte, y compris en s’attaquant à la langue française, massivement les françaises et les français et favorise ainsi le RN. En pensant - c’est ma thèse - que le RN au pouvoir, il pourra être le recours. Paris osé, mais ne sous estimons pas Mélenchon, on peut le détesté, mais il est intelligent. Et ses deux maîtres à penser sont Trotski et Mitterrand.
Mais revenons à la Francophonie, les propos de ces députés sont une insulte à ces 321 millions de locuteurs, à travers le Monde qui parlent français. C’est une insulte aux Québécois, aux Louisianais, aux Aacadiens, aux Canadiens qui défendent avec ténacité le droit de parler français, alors que l’on veut leur imposer l’anglais. Ces députés qui parlent colonisation, ont-ils conscience qu’en Amérique du Nord, on veut poursuivre la colonisation américaine par l’anglais ?
Leurs propos sont une insulte à tous ces jeunes qui dans tous les continents veulent parler français.
Certes le continent africain est le plus concerné, mais la Francophonie rayonne sur tous les continents. 88 Etats et gouvernements sont membres de l’OIF. Mais l’espace francophone ne se résume pas seulement à une Institution, c’est une agence universitaire, des médias, dont TV5 Monde avec 60 millions de téléspectateurs, des réseaux, des collectivités, des lycées et universités, des instituts culturels, des Alliances Françaises (824 Alliances Françaises dans 138 pays) et de nombreuses organisations et ONG indépendantes, présents sur l’ensemble des continents. Les francophonies des Amériques ce sont plus de 30 millions de francophones et de francophiles, C’est tout un ensemble de structures et d’organisations qui font rayonner la Francophonie ou plus exactement les Francophonies.
Yvan Kabacoff de TV5 Monde qui réalise et présente « Destinations Francophonie » en se rendant dans de très nombreux pays, déclarait récemment : « La francophonie est plus vivante que jamais…. Elle est diverse, variée et vivante ». Pour Silva Ochoa Haydé, docteure en littérature et civilisation française, responsable du département de didactique de la langue et de la littérature de l’Université Nationale Autonome du Mexique, « Francophonie en Amérique ou francophonies des Amériques ? Parier sur le pluriel ». Elle rejoint les propos d’Alain Mabanckou pour qui « La littérature francophone est un grand ensemble dont les tentacules enlacent plusieurs continents... la littérature française, elle, nous l’oublions trop, est une littérature nationale. C’est à elle d’entrer dans ce grand ensemble francophone. ». Ou ceux de Gilles Vigneault pour qui, « La francophonie, c’est un vaste pays, sans frontières. C’est celui de la langue française. C’est le pays de l’intérieur. C’est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de vous ». Où cette réflexion de l’écrivain et journaliste mauritanien M’Bareck Ould Beyrouk, pour qui : « Le français n’est pas la langue de la colonisation. Les colonisateurs n’avaient pas de langue, ils avaient des fusils... et une administration. Le français est un butin que nous avons razzié, et j’ai dressé autour de ce butin une tente où j’abrite mon imaginaire. » On peut aussi citer Tahar Ben Jelloun pour qui « La francophonie est une maison pas comme les autres, il y a plus de locataires que de propriétaires », qui par ses propos, exprime une conception universaliste de la Francophonie et pas seulement inféodée à la France.
Maryam Madjidi née à Téhéran, écrivaine française d’origine iranienne, partie avec ses parents en 1986 sur les chemins de l’exil pour s’installer en France, chroniqueuse depuis 2023 pour l’hebdomadaire L’Humanité Magazine, avec qui j’ai réalisé un entretien sur son livre « Marx et la poupée », où elle explique comment son oncle à partir d’une chanson de Brel qu’il a écouté à 19 ans, l’a amené à apprendre le français dans la sinistre prison d’Evin en Iran, en s’appuyant sur l’unique manuel qui circulait sous le manteau, la méthode Mauger. Elle voulait savoir et déchiffrer le sens caché des paroles de la chanson, de Brel « Ne me quittes pas » et pour cela elle a voulu apprendre le français. Il a eu le vertige de la langue française et elle en est tombée amoureuse. Dans l’entretien, Maryam Madjidi indique son « accord avec Tahar Ben Jelloun. La langue française appartient à tous ceux qui la parlent, l’écrivent, la chantent. Personne ni aucune frontière ne possèdent ni n’enferment cette langue. La langue est comme l’identité : elle se transforme, elle est libre, elle est modulable, elle se recrée sans cesse dans la bouche de tous ses locuteurs »…… Elle « partage totalement la vision d’Alain Mabanckou. Ce changement de paradigme est très important et nous devons partir de là. Je vois la francophonie comme une grande et vaste communauté d’auteurs qui ont pour point commun la langue française. Cette langue française se décline à l’infini et se teinte de toutes les couleurs que l’on souhaite lui donner. La littérature française entre dans un cet ensemble plus vaste, comme une catégorie qu’on peut appeler comme Mabanckou littérature nationale, ou littérature de la France, géographiquement déterminée ».
Ces propos sont l’expression d’un véritable changement de paradigme, alors que pendant longtemps, la France et sa littérature apparaissaient comme le phare de la Francophonie. C’est désormais une vision de la francophonie et de la langue française différente qui s’exprime, selon que l’on se trouve en Afrique de l’Ouest victime de la colonisation française, au Moyen-Orient, en Asie, en Océanie, en Europe ou aux Amériques. Des espaces géographiques et des cultures, des spiritualités et une Histoire propres à chacun d’eux sont unifiés et reliés par une francophonie plurielle.
Il temps d’aborder la question de la Francophonie, non dans une vision passéiste, néo coloniale et impériale, mais avec confiance et dans une vision plurielle, moderne et dynamique. Je recommande à ces deux députés ignares d’aller à la rencontre des écrivains et écrivaines francophones du monde entier pour se rendre compte que la francophonie n’est ni élitiste, ni réduite à des sommets diplomatiques stériles et qu’elle n’est pas une image nostalgique d’une France coloniale idéalisée. Que la Francophonie est plurielle à l’échelle de tous les continents et qu’à ce titre il nous faut parler des francophonies comme le souligne le Réseau international des maisons des francophonies, parlant des francophonies et pas seulement de Francophonie, car pour lui, dans les pays et territoires francophones et francophiles, d’autres langues existent notamment le créole, pour parler des Caraïbes et de la Réunion.
Il faut penser la Francophonie et le rayonnement de la langue française, non de manière dominante, mais comme le lien entre populations, tout en respectant et valorisant les différentes langues présentes dans les territoires, y compris en France. Ce sont les propos que tenait Amin Maalouf, lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, pour qui « Chez tout être humain existe ce besoin d’une langue identitaire. Chacun de nous a besoin de ce lien puissant et rassurant. Mais il faut entendre dans ce mot d’identité, surtout chez vous, non pas une identité contre, une identité meurtrière, mais une identité avec, qui ajoute, qui grandit, qui multiplie. Et là est précisément la force du français. Nous avons besoin de toutes ces langues, et d’une langue qui soit la même de Lille à Nouméa, de Marseille à Pointe-à-Pitre, pour nous sentir appartenir à la même entité nationale en nos différences. » Il s’adressait aux Français, mais ces propos pouvaient pleinement correspondre à beaucoup d’autres pays.
La Francophonie(s) est à penser dans le cadre du multilinguisme, en lien avec la valorisation des langues nationales et territoriales, en valorisant les diversités culturelles et linguistiques, les arts et la culture (cf la charte de l’Union Africaine et les préconisations de l’UNESCO). Des Francophonies intensifiant le dialogue des cultures et des civilisations. En tissant également des liens et des coopérations avec les autres espaces linguistiques, anglophones, lusophones, hispanophones, arabophones (notamment dans l’espace Méditerranéen en pensant la francophonie arabe qui est très ancienne (Maghreb et Moyen-Orient) et autres langues.
N’en déplaise à ces deux députés la Francophonie est vivante, dynamique, car plurielle est ouverte sur le Monde, mais dont les élites politiques françaises et autres, n’ont pas conscience, ce que confirme les propos de Yves Bigot, président de la fondation des Alliances françaises, dans un hors-série de L’Eléphant, « La France est le seul pays qui ne s’intéresse pas à la francophonie », ce qui fait que les Français « ne mesurent pas combien la Francophonie et la langue française sont notre force. » Pour lui, et nous y adhérons complètement, « La conscience de la force de la francophonie est notre avenir. » Et il ajoute : « Pour la nouvelle génération, la Francophonie représente un avenir culturel et géopolitique, et un futur économique crucial. » Même opinion de Walles Kotra, Kanak, originaire de l’île de Tiga en Nouvelle-Calédonie, qui a été directeur exécutif chargé de l’Outre-mer au sein du groupe France-Télévisions et qui parle de la France comme d’un « Pays-Monde » qui pourtant se « refuse de se penser en archipel mondial pour continuer à n’être qu’un Hexagone rabougri, incapable d’assumer sa géographie éclatée et ses champs culturels multiples".
Plutôt que de tenir des discours défaitistes et contraire à la réalité d’aujourd’hui en laissant le champ libre à l’anglais, faisons vivre, une Francophonie du 21ème siècle, une Francophonie plurielle, vivante et ouverte sur l’ensemble du Monde, les francophonies des 5 continents. C’est le combat d’avenir que portent de nombreuses associations et organismes. Et que l’on retrouve dans un petit département comme l’Allier, avec le Cavilam-Alliance Française (4000 stagiaires de 115 pays chaque année et ses rencontres littéraires francophones en juillet), le Centre d’émerveillement francophone dans la petite commune rurale Hérisson, les nombreuses coopérations avec des pays, l’action de nombreuses associations culturelles, sans oublier le rôle des collèges, des lycées et des universités. Tous ces acteurs n’ont pas l’impression d’être dans une démarche stérile, élitiste et héritée de la colonisation.