- © Arnaud Galy - Agora francophone
01 04 2025
Une Vénus de 5743 ans de Olivia Csiky Trnka
- © Miguel Bueno
À reculons. C’est ce qui peut se produire quand, imprudemment, on jette un œil au programme, en zigzag, et qu’on apprend que la lecture va tourner autour de la vieillesse et de la maladie. À reculons, sans doute une expérience personnelle pas si vieille que ça me fit redouter un malaise. Rien à voir avec l’écriture de l’autrice Olivia Csiky Trnka, suisso-slovaque, que je ne connaissais pas. Encore moins avec le possible jeu de la comédienne, aussi inconnue à mon répertoire, Laurence Mayor. Juste un blues personnel qui revenait au triple galop.
Et puis, triple zut, je suis là au milieu des zèbres, pour entendre et découvrir des écritures nouvelles. Là pour être bousculé. Et, pour être bousculé, Une Vénus de 5743 ans, ça bouscule les neurones les plus endormis. La Vénus en question, Laurence Mayor, convoque le public à assister à son suicide. Diantre. Ma première impression était la bonne, méfiance, à reculons. Et puis, et puis, ça dérape, ça vrille, l’écriture et les intentions de l’autrice engloutissent chaque spectateur qui ne peut s’empêcher d’ouvrir une petite fenêtre dans son cloud privé et intime, faisant apparaître les traits d’une mère, une tante, un grand-père. Qui peut dire que les premières phrases du long monologue mis en bouche par Laurence Mayor ne l’ont pas replongé dans le souvenir d’une visite en maison dite de retraite, où le ou la proche visitée lui en fait voir de toutes les couleurs. Vénus est agaçante, insupportable, bougonne, colérique, méchante, attendrissante, tendre... parfois digne dans le naufrage puis dépassant totalement les lignes jaunes du bon goût. « Nous » vivons de plus en plus vieux, parfois pour le plus grand bonheur des arrières-petits enfants, souvent au détriment de la plus minimum des dignités.
C’est là, alors que chacun se demande s’il a envie de passer une soirée aussi dérangeante qu’Olivia Csiky Trnka nous rattrape par le col. Sortie interdite. Un sourire gênant et crispé suivi d’un éclat de rire tout aussi gênant ondulent dans la salle. Oui, il faut aussi rire de ces choses-là. De la tête comme du reste qui fuitent comme une vulgaire tuyauterie rouillée... Pas s’en moquer mais en rire, oui. La Vénus d’Olivia déverse un flot de paroles entonnoirs et brosses à dents, suivi de réflexions philosophiques – vous avez quatre heures ; racistes – bienvenue dans un gradin de football ; poético-lunaires – un Dada n’y retrouverait pas son rhinocéros. Laurence Mayor, généreuse en Déesse qui se déglingue, émouvante en mamie qui se souvient par fraction de moments enchantés, puissante quand elle nous gueule dessus ou sur son invisible aide-soignante qu’on imagine se cacher un instant le temps d’essuyer une larme. Madame Mayor est l’ambassadrice de toutes ces comédiennes qui abandonnent les planches faute de rôles. Olivia Csiky Trnka lui fait un cadeau sans pareil.
Grand âge, dignité, abandon, attachement, lien familial ? Boule au ventre. Souvenirs. Crainte d’un futur proche. Olivia Csiky Trnka, du haut de sa silhouette de danseuse longiligne surmontée d’une impressionnante chevelure récalcitrante nous oblige à réfléchir, à penser contre nos préjugés ou nos assurances. Nous fait marrer. Fait perler de petites gouttes aux coins des yeux les plus burinés. Remplace avec efficacité un long débat télévisé ennuyeux et précieux organisé sur une chaîne publique.
Gageons que les programmateurs et les directeurs (au féminin, ça marche aussi) de théâtres, ceux qui se veulent exigeants et attractifs se laisseront tenter. À Limoges, la salle du Centre Culturel Jean Gagnant fut un test grandeur nature. Applaudissements debout, immense respect palpable pour Laurence Mayor et Olivia Csiky Trnka. Si la représentation avait eu lieu dans un théâtre d’Europe de l’Est, une pluie de fleurs se serait abattue sur les deux artistes.
À reculons ? Soupir. Ne jamais se laisser abuser par l’énoncé d’un programme. Seul compte, le plateau. Je le sais, j’ai failli me faire avoir. C’est la dernière fois, promis !
25 03 2025
- © Christophe Péan
Jeannine Dissirama Bessoga, « les Dieux tambourinent »
Jeune femme que les magazines dits féminins qualifieraient de « pressée », Jeannine Dissirama Bessoga est aussi « pressée » que multitalenteuse ! Ici, à Limoges pour une résidence d’écriture théâtrale « découverte », elle s’est déjà faite remarquée par son envie et sa pratique du cinéma. Soutenue par l’Institut français du Togo et son « patron » parti récemment, Alain Laeron, elle rencontre Hassane Kassi Kouyaté, lors d’un festival à Lomé. Le « boss » de Limoges n’a pu voir la pièce écrite par Jeannine Dissirama Bessoga faute d’un avion qui partait trop tôt mais il lui propose de contacter Corinne Loisel* et l’aventure commence. Corrine reçoit sa pièce, « tilt », la recontacte et la liaison Lomé - Limoges se met en place en 2024. Première lecture, ce samedi 23, de la pièce en cours d’écriture de Jeannine Dissirama Bessoga. Tendue est le mot qui la décrit le mieux, souriante mais tendue... les interrogations tambourinent dans sa tête, je la retrouve une heure après le moment tant attendu. Alors ? Sourire détendue.
- © Arnaud Galy - Agora francophone
Je suis rassurée, sont ses premiers mots. J’avais entendu des extraits dans des écoles de Limoges mais là c’est une lecture professionnelle, sur une vraie scène. Dans une vraie configuration. Cela permet d’écouter comme si ce n’était pas mon texte, juste écouter la lecture faite par les comédiens et entendre ce qui marche ou ne marche pas, ce qui peut être amélioré dans la construction des phrases. Des doutes ? Bien sur, on se demande toujours si les personnages sont impactants, si le public est touché. Et maintenant, ? Vivement demain pour réécrire des passages ? Peut-être même ce soir ! Grand sourire décrispé.
Oui, le public a été touché par cette histoire qui mixe la modernité tik-tokienne et le respect des traditions du village. La vacuité, la violence, la folie douce du monde éphémère des réseaux dits sociaux se heurtent à la permanence, la tradition, l’ancrage. Plusieurs atmosphères, joyeusement mises en lecture par Paul Éguisier, Elise Hôte et Amélie Rouffranche dirigés par Renaud Frugier, qui donnent dynamisme, provoquent des rires et plongent le spectateur dans une profonde réflexion.
Dans quelques jours, Jeannine Dissirama Bessoga partira pour deux mois de résidence à la Cité des arts, en bord de Seine. Le tambourinage a de beaux jours devant lui, devant elle.
* Directrice de la Maison des auteurs et autrices
- © Arnaud Galy - Agora francophone
22 03 2025
- © Arnaud Galy - Agora francophone
« Enfant », ça cogne !
Cette nuit George Foreman a quitté le ring sans retour possible. Lui, qui entra dans la légende de la boxe pour son mythique combat de Kinshasa opposé à l’autre hyper légende Ali et aussi pour sa légendaire force de frappe. Si c’est l’essence même de la boxe de donner des coups, d’affirmer sa puissance et surtout de savoir encaisser, parfois le théâtre offre les mêmes asphyxies. Coup au plexus ? Arcades ouvertes ? Foie en capilotade ? Le théâtre ne va pas jusque-là, certes, mais hier soir sur la scène de Jean Gagnant, le Malgache Rakotomanga Tokiniaina, de son nom d’artiste Gad Bensalem a offert au public un combat de haute volée. Combat qu’il maîtrise de A à Z. Il écrit*, il met en lecture, il joue, slam, cogne, fait des « une-deux » avec ses complices de scène, Dina Mialinelina et Judith Olivia Manantenasoa.
Gad Bensalem invente un personnage, Doda, en quête d’un père inconnu qui, dit-on, ne serait pas si loin... une quête qu’il mène le long de la RN44, au volant de son camion. Entre bar, prostituées, coup de colère, déprime et renaissance.
Gad Bensalem se tient droit, en fond de scène, encadré par les deux comédiennes – la voix envoûtante de la sirène Dina Mialinelina laisse le spectateur muet d’admiration – il lit, joue, scande son texte avec puissance. Il nous prend par le col et ne nous lâche plus. L’impression de prendre des coups envahit la salle. Souvent, mon cerveau m’envoie un message : « Hè, pense à respirer ! ». Cru, violent, désespéré "Enfant" n’est pas une œuvre pour les pitchounes : « Mon travail d’écriture s’inscrit dans une volonté de raconter Madagascar de manière sensible et sans concession. Et si, à travers mes mes histoires , on arrive à toucher des sujets universels, c’est tant mieux. (…) En filigrane, je tente également de comprendre la place de « la mort » dans la vie des Malgaches. »
George Foreman a pris un uppercut mortel cette nuit...
* Prix RFI théâtre 2024 pour « Enfant »
- © Arnaud Galy - Agora francophone
21 03 2025
- © Christophe Péan
Pascal Brullemans, philosophons sans tarder
La première rencontre fut autour d’une tomate cerise et d’un verre de rouge « cubi ». C’était au Vieux château de Vicq-sur-Breuilh. Tant de monde autour du buffet. La discussion s’engagea, directe, simple comme si nous étions du même essaim. Québécois, Pascal Brullemans ne fait pas mystère de l’arête qui lui obstrue le gosier depuis quelques mois. Une arête orangeasse surmontée d’une tignasse fadasse, venue du pays de John Wayne, prénommée Donald. Troump, comme dirait Bertrand Badie*, Donald Troump.
Québécois, donc Canadien, Pascal Brullemans comme tous ses concitoyens s’est découvert un nouvel adversaire, pour ne pas dire ennemi, à ses portes. Les cartes diplomatiques et économiques ont tellement été bouleversées depuis que Donald et ses cousins ont pris possession de la Maison blanche que l’avenir de cet immense pays riche qu’est le Canada s’est flouté, a tourné à l’illisible. Et nous papotâmes ! Qui est Pascal Brullemans ? La question n’était pas là, partager un toast aux rillettes ne dit pas tout des convives.
Le lendemain, dans l’entrée de l’écurie administrative des Zèbres, nous revoilà, par un délicieux hasard, réunis à nouveau. Seul, Félix, le doudou chat collectif du quartier, nous surveille d’un œil, assoupi. Au fait, qui êtes-vous monsieur Brullemans ? La réponse donne tout son sens à la discussion de la veille. D’abord, il est un « ancien » des « Francos », sa dernière venue remonte à... 8 ans peut-être ? Il fut accueilli en résidence d’écriture et joué au festival d’automne en 2018. Les Zèbres sont fidèles en amitié et en complicité artistique. Il est auteur la plupart du temps. Ne rechigne pas à mettre en scène.
À Limoges, cette année, son « truc » est de transmettre aux enfants. D’aller dans les écoles porter une parole philosophico-existentielle, convaincu qu’il n’y pas d’âge pour se poser des questions de grands. Par exemple : c’est quoi le bonheur ? Le monde du travail y conduit-il ? De quoi a-t-on vraiment besoin pour vivre ? Productivité et rendement en font-ils partie ? Pascal Brullemans dit ne pas vouloir asséner les réponses à grands coups d’objets contondants*. Plutôt, poser des questions qui obligent les enfants à réfléchir, à s’exprimer, à penser des « choses » auxquelles ils ne pensent pas spontanément.
Pour appuyer ce travail salutaire, Pascal Brullemans est venu du Québec, avec « Garçon chasseur », une pièce qui sera lue dimanche prochain dans le cadre des Zébrures de printemps et montée « pour de vrai » à l’automne. « Garçon chasseur » aborde, pour un jeune public, la question du travail, du travail usant, de la perte de sa propre vie et, revenons-y, celle du bonheur. La lecture et la pièce à venir sont conseillées à partir de 8 ans. Un âge où Donald et ses cousins envisagent mal qu’on puisse se questionner sur des doutes philosophiques. Philoquoi ? Merci Pascal de ne pas prendre les jeunes pousses pour des écervelés. Certaines vieilles pousses en revanche... parfois le doute est permis.
Les Zébrures montrent, une fois de plus, que les artistes ne sont pas des déconnectés de la vie réelle. Sans doute est-ce pour cela que les pouvoirs dérapant vers l’autoritarisme ne les aiment que modérément, à moins de les contrôler. Cela arrive, soyons lucides. Concernant, Pascal Brullemans, la touche « ctrl stop » n’a pas encore été activée.
* Bertrand Badie : professeur des Universités à Sciences Po Paris
* Expression non employée par Pascal Brullemans
20 03 2025
Il y a ceux qui... et ceux qui...
Ceux qui choisissent symboliquement ces jours que l’on appelle « semaine de la Francophonie » pour quitter cette dernière. Ils sont les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Anciennement membres de choix et qui plus est, pour le Niger, membre fondateur de l’Organisation du même nom, du fait de l’engagement de feu Président Diori pour la cause francophone. Rappelons que la création de cette organisation est le fruit de la volonté des anciens pays colonisés par la France et la Belgique de faire vivre la langue française en s’extirpant du carcan des anciennes puissances coloniales. Chose que les actuels dirigeants des pays sahéliens, nommés ci-dessus, appliquent à la lettre puisqu’ils s’expriment remarquablement en français même lorsqu’ils quittent la Francophonie. Qu’en pense une majorité d’artistes, d’hommes ou femmes d’affaires, d’étudiants ? Sans doute, se mettront-ils au mandarin ou au russe, langues des nouveaux colonisateurs de l’Afrique, parfois même de l’Europe !
Ceux qui choisissent ouvertement et concrètement de poursuivre le compagnonnage avec la langue française. Sans oublier l’histoire, parfois en baffant très fort les tenants de la colonisation, souvent même. Bref, ceux-là, se retrouvent aux Zébrures de printemps à Limoges. Un lieu où « on peut tout se dire », sans se fâcher même si on s’enguirlande un brin, en débattant, en s’exprimant, en jouant. Jouer sur une scène, quoi de mieux pour régler ses comptes et ses contes.
- "Racines mêlées" de Jenny Briffa
- © Arnaud Galy - Agora francophone
« Racines mêlées »
Hier soir, les Zébrures ont ouvert le bal de printemps, dans le toujours enchanteur Vieux château de Vicq-sur-Breuilh. Une première lecture publique d’extraits d’une pièce qui fera les beaux jours des Zébrures d’automne grâce à la mise en scène de Sophie Bézard, présente hier soir pour soutenir la ribambelle d’adolescents dirigée par Morgane Kabiry. Embarquement immédiat pour les côtes de la Nouvelle-Calédonie en quête d’une fleur guérisseuse. Nous naviguons sur les frégates de Cook et La Pérouse, tout en écoutant Jannick, botaniste d’aujourd’hui mettre quelques points sur les « i » tout en cherchant sa fleur... Une grande aventure qui ne peut que motiver une jeunesse en mal de projet commun et qui fait s’entrechoquer des visions du monde opposées mais complémentaires. Indigènes et navigateurs... scientifiques et population attachée à sa culture...
Il est toujours émouvant de voir des collégiens se prendre au jeu d’une lecture, d’imaginer les heures de répétition, les discussions familiales autour de cette action extra-scolaire, les envies de lectures suscitées, les questions posées devant les infos où il est question de la Nouvelle-Calédonie... les événements récents documentés par de terribles images et les archives des années 80 où s’entrechoquent des récits irréconciliables. Parions que ces jeunes, embarqués dans cette aventure théâtrale, ont une lecture différente de l’actualité que leurs camarades restés devant leur console ! (Sans doute va-t-on me traiter de vieux schnock, j’assume !)
- © Marc le Chelard
Au fait, il y a un absent dans ce billet, plutôt une absente. L’autrice du texte. Celle qui travaille d’arrache-pied depuis des années, contre vents et marées, pour que son texte existe, soit monté sur scène et donc soit financé ! Une autrice néo-calédonienne, bien au fait du passé et du présent de son île : Jenny Briffa. Absente ? Oui. M’enfin, comment peut-on être absent d’un tel événement. Bon, allez... n’entretenons pas une tension inutile. Un bébé est venu s’intercaler dans le programme artistique de la maman. Si c’est pas une bonne raison d’être absente, ça ! Promis, cet automne, elle aura trouvé son rythme de croisière pour tout affronter sereinement...
Et si vous me permettez, « on » les embrasse !
Lecture par des élèves des collèges Donzelot, Maupassant, Limosin
et du lycée Gay Lussac : Adauré Anyanwu, Églantine Bergeron,
Mila Boucherie, Ellora Lageon, Marjorie Lageon, Gaspar Laguzet,
Chancelvie Lufuma Mambu, Hortense Lys-Tessier, Célia Moussaoui,
Camilia Olkom.