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AFRIQUE - La biomasse, un atout dans les mains

AFRIQUE - La biomasse, un atout dans les mains

Par Fanny Costes en partenariat avec le mensuel suisse La Cité

L’accès à l’énergie est un enjeu central de développement économique des États, surtout dans les contextes du réchauffement climatique et des ressources non renouvelables. En Afrique, la biomasse, ensemble de matières organiques d’origine végétale ou animale, est une grande pourvoyeuse d’énergie.

12 avril 2015 - par La Cité 

La biomasse — ensemble des matières organiques d’origine végétale ou animale — satisfait aujourd’hui 49% de la demande en énergie primaire de l’Afrique, et même plus de 60% dans sa partie sub-saharienne, aux dires de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et selon ses perspectives, elle restera la première source d’énergie du continent à l’horizon 2040, loin devant le pétrole ou les autres énergies renouvelables.

Actuellement, il s’agit surtout de charbon de bois récolté de manière artisanale selon des méthodes peu efficaces énergétiquement et surtout très destructrices pour l’environnement. L’enjeu pour les pays africains est donc de passer de cet usage artisanal de l’énergie biomasse à un autre, plus industriel, moderne et efficace, adapté aux enjeux environnementaux et économiques des territoires. Mais aussi plus efficace, 600 millions d’Africains n’ayant aujourd’hui aucun accès à l’électricité. « La biomasse est unique comme énergie renouvelable car elle est non seulement stockable mais en plus elle recèle un potentiel thermique couvrant les besoins en chauffage, en électricité, et en carburant pour les transports, plaide Dolf Gielen, directeur du centre Innovation et technologie de l’Irena (Agence internationale pour les énergies renouvelables). Il est donc très important de la développer et en Afrique, le potentiel est immense. »

Pourtant, après une accélération des investissements et des projets à la faveur du développement des bioénergies au début des années 2000, la crise alimentaire de 2007 a tout remis en question. Les biocarburants, en particulier, ont été accusés de l’avoir provoquée. Une dénonciation en partie avérée, les états-Unis ayant massivement utilisé du blé pour produire leur biocarburant. Ce qui a eu pour effet d’augmenter le prix du blé et du maïs. Cette critique s’est étendue à tous les pays producteurs, le Brésil en particulier, en alimentant l’idée que les bioénergies, en général, portaient atteinte à la sécurité alimentaire des populations.


Nairobi, à l’heure de pointe - Ph : Céline Michel

À en croire certains experts, la tension démographique que va connaître le continent tout au long du XXIe siècle interdit de miser sur l’énergie biomasse à grande échelle. « Selon les scénarios tendanciels, l’Afrique comptera en 2100 entre 3 et 4 milliards d’habitants. Il sera donc nécessaire d’éviter toute opposition entre les usages des récoltes. à long terme, il faudra préserver la biomasse comme aliment et favoriser l’énergie issue du solaire », estime ainsi Michel Griffon, agronome-économiste. Un avis que ne partage pas Laurent Gazull, chef d’unité au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). « S’il existe des disparités importantes dans la disposition des sols, l’Afrique reste le continent le moins saturé. Et de nombreux pays cultivent aujourd’hui des productions destinées à l’exportation, comme le coton ou encore la noix de cajou. Ce sont des cultures de rente et on ne s’est jamais posé la question de savoir si elles entraient en concurrence avec l’alimentation des populations du continent ! », réplique-t-il. Pour les partisans de l’énergie biomasse, miser sur ses différentes possibilités répond au besoin considérable d’énergie en milieu rural, ainsi qu’à la nécessaire modernisation de l’agriculture de nombreuses zones africaines. Le développement d’une filière d’énergie à partir de la biomasse, touche forcément la filière agricole. L’objectif serait même d’aboutir à un apprentissage mutuel entre les deux. Au lieu de faire du prélèvement sauvage et aléatoire de biomasse, il serait préférable de créer des filières agricoles dédiées à la production d’énergie et dont la rente permettrait aux producteurs de réduire leur insécurité alimentaire, suggère Edouard Lanckriet, ingénieur agronome et doctorant en économie agricole au CIRED (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement).

Concilier sécurité alimentaire et énergétique serait possible. Les revenus de la biomasse énergie permettant, par exemple, d’acheter engrais et semences pour faire de l’agriculture en parallèle, ou alors en créant des variétés qui fournissent des tiges riches en fibre, très bonne source énergétique, et produisent des graines riches en lipides utilisables pour l’alimentation. « Si le développement de filières agro-énergétiques est conduit de manière intelligente, à l’instar du Brésil, cela contribue directement à la sécurité alimentaire, ajoute l’ingénieur agronome. L’apprentissage issu du développement de telles filières permet d’améliorer les techniques agricoles dont bénéficient aussi des filières destinées à l’alimentation ».


Serre au Kenya, conçue pour des petits agriculteurs, permettant un accès abordable aux technologies agricoles modernes - Ph : Céline Michel

D’autant que l’Afrique dispose de plantes qui peuvent couvrir les différents marchés alimentaires et énergétiques. La canne à sucre et le sorgho sont de bons exemples. Développer ces cultures en particulier pourrait procurer un avantage compétitif aux agriculteurs et agro-industriels africains. « Le Brésil a construit son industrie de la biomasse sur la canne à sucre, en créant des variétés adaptées aux conditions locales ; je pense que l’Afrique peut le faire avec le sorgho sucré » avance Edouard Lanckriet. Il ne faut pas oublier le potentiel énergétique des résidus issus de l’agro-industrie ou de l’agriculture. Avec des rendements qui se seraient accrus grâce à de meilleures techniques agricoles, l’Afrique pourrait disposer d’un nombre plus élevé de ces déchets et les utiliser, par exemple, dans des méthaniseurs pour produire du biogaz. « Dans ce cas, la compétition des usages est impossible et en plus cette méthode offre un débouché économique pour les déchets qui, aujourd’hui, sont le plus souvent brûlés en Afrique », souligne Joël Ruet, président du laboratoire d’idées Bridge Tank.

Bien menée, la création d’une telle filière serait créatrice d’emplois et porteuse de savoir-faire techniques. Selon les chiffres de l’Irena, sur les 6,5 millions d’emplois pourvus aujourd’hui grâce aux énergies renouvelables, près de la moitié est représentée par la filière de l’énergie biomasse. L’installation de centrales de biomasse nécessitera sans doute l’importation de matériaux et de technologies. Mais compte tenu de la diversité des territoires africains, il faudra chaque fois les adapter, nécessitant des pôles de chercheurs et d’ingénieurs, des ouvriers et des techniciens agricoles formés. « Si tel devait bien être le cas, on assisterait à un développement intégré et pas seulement à l’amélioration de l’approvisionnement énergétique en Afrique », poursuit Laurent Gazull.

Des exemples existent dans les pays les plus industrialisés et les plus riches, comme l’Afrique du Sud ou l’Ile Maurice. L’Ethiopie est en train de structurer sa filière de canne à sucre et incorpore déjà des taux obligatoires d’agrocarburants dans les essences commercialisées. Mais « cela reste de très grosses agro-industries. Idéalement, il faudrait construire des centrales électriques de moyenne dimension qui puissent être installés dans les zones rurales et pourraient, par exemple, collecter les déchets agricoles de toute la sous-région », ajoute Edouard Lanckriet. De plus, les états se montrent frileux. « Ils devraient favoriser cette demande en instaurant des tarifs préférentiels pour les bioénergies. Ou, a minima, en soutenant les industriels qui investissent dans des unités de production électrique alimentées par des déchets ou de la biomasse, car ils sont situés en périphérie des villes et ont besoin d’énergie, via le rachat des surplus d’électricité », explique Laurent Gazull. Des partenariats public-privé pourraient faire décoller ce marché, en s’appuyant, notamment, sur des garanties internationales. Mais sans cela, préviennent les experts, le modèle ne pourra pas fonctionner.

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