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Festival International des Lucioles Bleues - Filbleu

Festival International des Lucioles Bleues - Filbleu

Partenariat AGORA / GRAND TOUR 2017 - Par Anani Agboh
8 mars 2017

La francophonie de terrain est chez elle au Togo ! Le Grand Tour l’a bien compris en faisant étapes au pays des lucioles bleues... Ce festival éclectique bien que très littéraire traverse le pays, pénètre jusque derrière les portes d’une prison, rencontre les plus jeunes... La langue française est dans son élément, elle fait plaisir, elle transmet, elle enrichit les esprits ! Le reporter d’Agora, Anani Agboh, est de la partie... en mars les lucioles bleues du Togo seront francophones !

La 10e édition du Filbleu fera la part belle aux arts plastiques

Si Filbleu brille encore cette année par sa pluridisciplinarité, elle fera la part belle cependant aux arts plastiques. Cette 10e édition « est l’occasion de la première rétrospective dans les arts plastiques au Togo » annonce Kangni Alem, directeur artistique du festival pour qui il s’agit de mettre en exergue ce qui a marqué l’histoire des arts plastiques au Togo. Ainsi, les projecteurs seront braqués sur le mystérieux peintre Kaliko à la double mort, définitivement décédé en 2002. Il appartenait à ce qu’on appelait « l’école de Lomé ». « Nous avons cherché à retrouver ses œuvres pour une rétrospective » précise Kangni Alem. De la musique, du théâtre, des débats d’idées sont également au programme. Côté littérature, trois écrivains béninois, autant d’ivoiriens, un jeune poète togolais du nom de Renaud Ayi Dossavi-Alipoeh sont entre autres au rendez-vous.

Commençons par évoquer ici la caravane littéraire qui a sillonné le Togo du nord au sud, de Dapaong à Lomé, pendant une semaine et qui a servi indirectement de tremplin au Filbleu 2017.

Joseph Koffi Bessan

La caravane littéraire comme rencontre directe entre auteurs et public de l’intérieur du pays

L’idée a germé il y a six mois. Toutes les conditions, semble-t-il, étaient réunies pour qu’elle se réalise. D’un côté, la délégation de l’Union européenne au Togo dont le soutien à la promotion de la culture et des arts, n’est plus à démontrer était prête pour un partenariat et voulait en profiter pour lancer des projets de développement. De l’autre, l’Association des écrivains du Togo (AET) désirait promouvoir ses auteurs et par ricochet leurs œuvres. Par ailleurs, l’association Filbleues organisatrice du festival du même nom ne pouvait rêver d’un meilleur tremplin que celui-ci. La caravane allait être bénéfique pour toutes les parties prenantes. Ainsi, les écrivains togolais : Kangni Alem, Sami Tchak, « la guest star » de la caravane et écrivain togolais de la diaspora, Germaine Kouméalo Anate, poétesse et ex-ministre de la Communication, Sophie Ekoué, autre plume de la diaspora, Claude Assiobotis, l’homme du complexe de Mamiwata, Alexandre Goli, Thérèse Karoué auréolée de son prix littéraire France-Togo 2016, Koffi Boko, l’écrivaine française Annie Ferret qui voyage souvent entre le Mali, le Burkina Faso et le Togo, le conteur Joseph Koffi Bessan

Wapondi sur scène

et la slameuse Wapondi armés de la langue française avec laquelle ils expriment leurs talents avaient pour mission de parler de la littérature en général, faire la promotion de leurs œuvres, favoriser la rencontre directe entre auteurs et lecteurs, familiariser les jeunes de l’intérieur du pays avec la littérature et les arts. Ils devaient aussi « promouvoir la créativité et la richesse de la littérature togolaise » et susciter des talents ou vocations. Les lieux où ils devaient intervenir étaient aussi divers les uns que les autres : prisons, collèges, lycées, universités, centre de lecture et d’animation culturelle, centres de jeunesse.

À la prison civile de Dapaong (664 km au nord de Lomé), on pouvait lire la joie sur le visage de ces détenus qui grâce à un des leurs pouvaient comprendre en Moba, la langue du milieu, les prestations en français des artistes. Ils ne se sont pas montrés indifférents aux extraits lus par Koffi Boko de son ouvrage « Nawir ». Ils ont également participé de manière active aux récits de Joseph Koffi Bessan, le chasseur de contes et des textes déclamés de Wapondi, la slameuse.

Contre vents et marées !

La caravane a fait preuve d’ingéniosité et a montré qu’elle pouvait faire face à toutes les situations comme une grève de l’enseignement par exemple ! Le premier jour de la caravane à l’étape de Dapaong, deux équipes d’écrivains se sont retrouvées dans des lycées vidés de leurs élèves. Mais, rapidement, ils ont trouvé un plan B : celui d’aller à l’école normale d’instituteurs de la ville. Là, également, les instituteurs étaient absents. Leurs formateurs par contre étaient présents. Les écrivains Kangni Alem, G. K. Anate, Alexandre Goli et Annie Ferret ne pouvaient rêver mieux. K. Alem saisit l’occasion pour lancer une discussion sur ce qu’on peut faire de la littérature togolaise. Les débats ont tourné autour de l’évaluation critique de cette littérature qui n’est pas assez poussée. Les formateurs se sont demandé à tort ou à raison si les Togolais faisaient de la littérature. La question a monopolisé les débats. Pour les auteurs, la question n’a pas lieu d’être, car les écrivains togolais reçoivent des distinctions littéraires à l’international. Ce qui prouve, selon eux, qu’ils produisent des contenus de qualité. Les formateurs soulignent le manque d’ouvrages de référence.

Les écrivains trouveront que l’on n’accepte pas, au niveau du système éducatif togolais, l’évolution de la langue française et l’adaptation qui en est faite dans chaque pays francophone. Pour les formateurs, les textes des écrivains togolais peuvent ne pas être accessibles aux enfants. À cette inquiétude, les écrivains répondront qu’il faut accepter que les enfants où les élèves ne comprennent pas tout. Tous s’accorderont sur le principe ou la nécessité de programmer les écrivains togolais et d’introduire les extraits de leurs ouvrages dans les manuels scolaires. Les écrivains ont mis un accent particulier sur l’impérieux devoir qu’ont les instituteurs de transmettre le goût de la lecture, d’établir le contact entre l’apprenant et le livre afin de faire la littérature un « rêve utile, un vrai partage des imaginaires. “Le goût de la lecture ou de la littérature, la passion du livre doivent être communiqués sur les bancs de l’école” renchérira Germaine Anate, car pour elle, la littérature est une chose qui traverse toutes les frontières. Durant, la caravane, les écrivains ont été confrontés à des questions relatives à leurs noms de plume, aux titres de leurs ouvrages, aux genres littéraires, aux thèmes qu’ils développent, sur la littérature togolaise, sur l’accessibilité de leurs œuvres, etc.


Sami Tchak... au Centre de lecture et d’action culturelle de Sokode

Sami Tchak, la « guest star »
Durant la caravane, un nom aura été dans tous les esprits. À n’en pas douter, ce nom est bien celui de Sami Tchak, l’écrivain togolais qui n’est plus rentré au pays depuis plus de trente années et fait partie avec Sophie Ekoué des écrivains de la diaspora qui vivent en France. Prolifique et lauréat de nombreux prix littéraires (Grand prix littéraire d’Afrique Noire, prix Ahmadou Kourouma), Kangni Alem dira de lui qu’il “est le meilleur de nous tous” même si certains le trouvent “sulfureux”. Sami Tchak, objet de nombreuses thèses de doctorat à travers le monde, est traduit en Allemand, en Espagnol et Italien pour ne citer que ces langues, est celui qui a reçu plus d’hommages tout au long de la caravane. À l’université de Kara, dans son village natal Bowoumda (20 km de Sokodé Ville) qui veut dire littéralement “dans le trou” et où il n’a pu retenir ses larmes, Sami Tchak est resté égal à lui-même, c’est-à-dire simple. “Ça fait toujours un grand plaisir, affirme-t-il. Quand je reviens, je me dis : c’est peut-être la dernière fois. Et ça, je ne le dis pas pour faire l’écrivain, c’est quand même la réalité de la vie. En repartant, je ne sais pas si je reverrai le village ou le village me reverra. Toutes ces personnes m’ont réservé un accueil qui témoigne de l’importance qu’ils me témoignent. L’accueil m’a semblé trop grand, par rapport à l’image que j’ai de moi. Sans faire semblant, je me disais que je ne méritais pas cet accueil-là”. À Bowoumda, il confiera que la visite de la forge de son père lui rappelle ce dernier décédé à la Mecque ainsi que sa mère inhumée dans un autre village. “Assis dans cette forge, je pense à notre père qui est mort à la Mecque et qui n’a pas laissé de tombe ici. Chaque fois que je pense à notre père qui est mort sans la tombe qui scelle le lien entre la famille et les défunts. Je pense aussi à ma mère qui est morte loin d’ici et qui est enterrée quelque part, il y a quarante-cinq ans aujourd’hui. Je pense à la très grande probabilité que moi, je n’aurai pas de tombe ici. Vivant loin de ce village, je suis quand même persuadé que ma mort se trouve ailleurs et que moi non plus, je n’aurai de tombe ici. Mais la forge est la chose que je porte en moi. C’est de là d’ailleurs que me viennent les textes que j’ai publiés sous le titre Le son de la cloche” a confié l’écrivain. À l’Université de Kara, celui dont Sophie Ekoué – ex-journaliste à Radio France Internationale (RFI) – souligne la “grandeur et l’humanité” affirmera que “l’écrivain n’apporte de contribution que grâce aux lecteurs et de ce qu’ils font de ses textes”. Il précisera aussi qu’“un écrivain est avant tout un chercheur”. Un paramètre que les jeunes écrivains actuels selon lui ont tendance à oublier. Il indiquera également à l’Université de Lomé où il fut honoré qu’“il reste au fond de chaque écrivain, la claire conscience de ce qu’il n’est pas encore”. Sami Tchak s’estime comme un “bâtard” en termes de référence littéraire. SI Ahmadou Kourouma est l’une de ses premières références, les auteurs latino-américains sont ceux qui l’ont beaucoup influencé. “Même morts, les écrivains ont la capacité de nous entendre et de nous maudire”, ironise-t-il. Il accorde une place centrale au voyage. “Le voyage, avance-t-il, est une occasion pour un écrivain de renouveler une interrogation”. Dans la même dynamique, il fait remarquer que “l’insatisfaction chronique est le propre de l’écrivain”. Derrière chaque œuvre littéraire devrait se trouver une idée philosophique à en croire le natif de Bowoumda qui avoue que l’un de ses plus grands défis sera de “contribuer à aider un jeune écrivain togolais à trouver son chemin”. Un autre défi qui pourrait s’imposer à lui sera peut-être de permettre à tous ceux qui parlent sa langue maternelle, le Tem, de pouvoir la lire également. Son roman Femme Infidèle paru aux éditions NEA en 1988 a été traduite récemment aux éditions Graines de Pensées non seulement dans sa langue maternelle et en Ewe, une autre langue populaire du pays. Ne sachant pas lire dans sa langue maternelle, Sami Tchak de son vrai nom Sadamba Tcha-Koura ne peut donner son avis sur le contenu de cette traduction. Sa pensée a-t-elle été fidèlement traduite ? Ses lecteurs Tem comprendront-ils vraiment ce roman ? Sami pourrait-il lui seul promouvoir sa langue maternelle ? Réussira-t-il ? Et la francophonie ou l’Organisation internationale de la francophonie dans tout ça ?
“Trop occupée à résoudre les crises politiques” nous dira Kangni Alem. “Je ne cesse de le leur répéter aux réunions de l’OIF à Paris”, poursuit-il. L’OIF a beaucoup plus à gagner dans la promotion de la diversité linguistique et culturelle qu’à vouloir résoudre les crises politiques selon lui.


Sami Tchak distingué à l’Université de Lomé

La caravane littéraire, une expérience à renouveler
À la prison civile de Sokodé, l’Ambassadeur de l’Union européenne au Togo a été touché par l’enthousiasme des détenus qui à un moment donné ont pris d’assaut la scène en lieu et place du conteur Joseph Koffi Bessan et de la slameuse Wapondi pour prester eux-mêmes. Un écrivain fut marqué par cet élève qui tout en saluant les initiateurs de la caravane faisait remarquer son ignorance de l’existence d’une littérature togolaise. Ses professeurs et enseignants étant trop occupés à lui parler d’auteurs français. La caravane a permis selon les organisateurs de se faire une idée sur comment la littérature togolaise est enseignée dans les écoles, les universités et dans les manuels scolaires (où elle est presque inexistante). La caravane devrait amener les dirigeants à repenser la qualité de l’éducation et du système éducatif. Pour le ministre de la Communication, des Arts, de la Culture, des Sports et de la Formation civique, “l’on ne découvre le monde qu’à travers le livre”. “La caravane littéraire, selon ce dernier, a apporté quelque chose de particulier : faire découvrir les artistes, reprendre le chemin des bibliothèques”. Le ministre envisage déjà de constituer des mini bibliothèques dans toutes les prisons du pays. “Dans la solitude, la douleur et la peine, la meilleure façon de se débarrasser de ses chaînes, c’est la lecture qui doit permettre à chacun de s’évader” a-t-il opiné. Dans cette dynamique de bonnes intentions, la délégation de l’UE au Togo et l’Association Filbleues pensent également à la création d’une troupe théâtrale dans chaque établissement pénitencier du pays. Simple effet d’annonce ?
Tous les protagonistes espèrent que l’expérience de la caravane littéraire ne s’arrêtera pas à cette première édition, qu’elle se renouvellera surtout qu’elle avait aussi des allures d’une caravane socioculturelle avec les lancements de projets de développement de la délégation de l’Union européenne à l’instar du “Programme d’appui au renforcement de la démocratie participative locale pour un développement durable dans le sud-est de la région des Plateaux au Togo”.

Photo du logo : Twitter Kangni Alem

Photos de l’article : Anani Agboh

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