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Carnets Vanteaux - Ça vient des tripes

Carnets Vanteaux - Ça vient des tripes

8 juin 2021 - par Juliette Botreau 
 - © Pixabay - EU_Eugen
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La consigne : Mon déjeuner avec le.la Président.e


Monsieur le Président. Il s’appelle Charles-Henri Dufour mais ne tolère que l’on s’adresse à lui que par « Monsieur le Président ». Il me fait un peu penser à ces quadras qui ont besoin d’un gros 4x4 pour compenser leurs érections faiblissantes. Ils le choisissent cher, pour montrer qu’ils ont les moyens, quitte à s’endetter et manger des nouilles à l’abri des regards. Le PEL des enfants ? Envolé. Mais ça valait le coup, il y a la garantie révision cinq ans incluse ! Le véhicule dispose de toutes les options, d’une peinture criarde et s’il ne troue pas la couche d’ozone, alors ça n’en vaut pas la peine. Après tout on doit bien laisser une trace de notre passage sur terre, d’une manière ou d’une autre. Monsieur le Président prend souvent la même chose durant nos déjeuners. Soit une pièce de bœuf « bien saignante » accompagnée d’un grand bordeaux, soit le plat du jour lorsqu’il fait plus de trente euros. Ce qui est drôle, c’est qu’il regarde le prix et pas le plat. Et aujourd’hui patatras ! Le plat du jour, c’était des tripes. Moi, j’adore ! Vraiment j’ai rien contre des tripes comme chez mamie. Mais les tripes voyez-vous, ça ne rentre pas dans l’esthétique de Monsieur le Président. Lorsque le plat fut déposé devant lui, je l’ai bien vu prendre un air surpris. Il s’est mis à regarder de tout coté, très gêné, puis son regard tombe sur l’ardoise au mur « Plat du jour, tripes bio au safran, et petits légumes ». Il s’est dandiné, a remué, souri puis ayant l’estomac vide, il s’est mis à manger la garniture. Jamais je n’avais vu Monsieur le Président si peu bavard, ou manger si lentement. Il mastiquait sa julienne avec tant d’application, presque avec concentration, mais surtout une lenteur extrême. De temps en temps il remuait les tripes dans son assiette, pour les étaler et faire mine de les manger. Puis, une chose qui n’était encore jamais arrivée se produisit : Monsieur le Président mangea les feuilles de salade posées au bord de son assiette. Je retins mon pouffement. Lui qui disait toujours que « La salade c’était bon pour les limaces ou les grosses bonnes femmes au régime qui somme toute n’ont que peu de différences ». Phrase qu’il ponctuait généralement d’un rire tonitruant. Au bout de quinze longues minutes de supplice pour Monsieur le Président, mon téléphone se mit à sonner dans mon sac à main. Je me penchai prestement pour l’éteindre. C’était le moment où jamais ! Monsieur le Président sauta sur l’occasion de vider son assiette dans le pot de lierre situé juste derrière lui. Il le fit presque sans réfléchir, comme ça, « hop », rapide et discret. Mais moi, la tête sous la table, j’ai tout vu. Lorsque je me relevai, il s’essuya la bouche comme quelqu’un qui vient de finir de manger. Le gérant de la brasserie qui, après plusieurs années de fidélité nous connaissait bien, vint saluer Monsieur le Président. Il fut surpris de trouver une assiette immaculée, vidée de tout, même de sa garniture décorative. Tout flatté de voir que son plat avait tant de succès, il tapa chaleureusement dans le dos de monsieur le président et dit « Ah ben ça, vous les aimez mes tripes, hein ? Allez, je vous en prépare une autre, celle-là elle est pour moi ! »

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