Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova Makarius
Consigne : écrire une microfiction en s’inspirant de l’œuvre de Joseph Koudelka et en particulier de son ouvrage Fabrique d’exils.
Mes racines m’ont été arrachées et il m’est maintenant impossible de retrouver mon chemin. Le temps passe et moi je ne change pas. Les mots sortent de ma bouche mais ne semblent jamais adéquats, cela ne changera jamais, car je serais toujours un étranger.
Je ne suis plus vraiment moi-même depuis ce fameux jour de mai où j’ai dû quitter mon pays. Depuis, je suis devenu un voisin, un camarade, un collègue, parfois même un ami pour certains mais cela ne sonne jamais vraiment bien. J’étais déjà tout cela avant, alors à quoi bon recommencer ?
A présent, je ne peux regarder ni vers le passé, ni vers le futur, trop étouffé par la crainte. Il ne me reste alors comme choix que de contempler cette place incertaine sur laquelle je me trouve, celle qui, parait-il, devrait être meilleure. Mais comment admirer les fleurs du printemps quand elles me rappellent la boutique en ruine du fleuriste ? Pourquoi apprécier un bon repas quand je sais qu’il reste là-bas d’autres qui n’ont pas cette chance ? Que dois-je faire pour oublier cette violence, la peur muette, les visages familiers et mon long voyage monochromatique ?
Alors j’observe simplement ce monde, voyant la vie comme à travers les carreaux d’une fenêtre sale. Toujours pas de couleurs, rien que du clair-obscur. Pas de détails, juste des figures sombres et le poids du monde qui ne m’a jamais paru plus lourd qu’aujourd’hui. Pas de repos pour mon esprit et toujours pas de chez moi.