Il était une fois, à Angoulême, sur les Terres de François 1er, un roi géant en taille et en œuvre, celui qui, en 1539, décida, par son Ordonnance dite de Villers-Cotterêts, que la langue française serait « la » langue de la France. Reprenons, il était une fois, donc, une femme élégante, portant une casquette-béret, née à Alger, ayant fait études et carrière professionnelle brillantes en France, du nom de Meriem Panazol. Une femme entêtée, sachant entraîner dans son sillage bénévoles et jeunesse pétillante. Sa fille, Yona, ne sut résister à être de la partie. Meriem et ses acolytes adultes, de l’association « Balcon de la francophonie » connaissent bien la vie parfois chaotique des quartiers de leur ville, ils font partie de la population dont les parents ou grands-parents ont vu le jour sur l’autre rive de la Méditerranée. Quartiers où les langues et dialectes du Maghreb, l’espagnol, le portugais et tant d’autres se croisent, parfois s’opposent et où le français fait le lien. Langues au cœur des joies et des peines des habitants de Ma Campagne, Soyaux ou Bassau, les quartiers ou communes de la couronne d’Angoulême. Meriem, Mohamed, Khalid sont fonctionnaires territoriaux, éducateurs, animateurs ou professeur de FLE. Engagés dans la société comme le sont les Urgentistes ou les Sauveteurs en mer, ils jettent un œil attentif à la jeunesse parfois tentée de suivre des voix et des voies qui mènent droit au bord de la falaise, parfois aux enfers. Dans ces quartiers, parents et « grands-frères » se disputent l’avenir des plus petits. Pas toujours, soyons honnêtes, mais comment éluder le fait ?
Même dans un « il était une fois », il serait audacieux de comparer Meriem Panazol à François 1er... Un peu de retenue. Pourtant, Meriem parie sur la langue française, à l’instar du roi de France. L’Histoire, pas toujours pacifique, a donné à Meriem Panazol, une carte supplémentaire, une carte qui enrichit la langue française : la francophonie. Pas l’institutionnelle, pas celle qui vise à jouer un rôle diplomatique planétaire, juste celle qui unifie, qui bâtit des ponts, qui secoue l’imaginaire. Celle qui ouvre les fenêtres. Pour donner corps à cette vision, quoi de mieux qu’organiser une visite à la Cité internationale de la langue française, au château de Villers-Cotterêts, là même où François 1er signa la fameuse Ordonnance.
Pourquoi « joyeuse » ?
Entasser 45 gamins de 9, 10 ou 11 ans dans un car pour traverser la moitié de la France n’engendre pas la mélancolie. À cet âge, l’énergie vitale est à son pic – ils ont tout le temps faim ! -, la capacité à alterner fous rires et questions incongrues ne cesse que lorsqu’une fatigue fracassante les envoie brièvement rencontrer le marchand de sable. Cela ne dure jamais longtemps. À cet âge, les filtres sont souvent calés sur la position « off » et les surprises volent en escadrille : imaginez, le débat naissant pour savoir si le Sahara occidental est « à nous, l’Algérie » ou « à nous les Marocains ! ; goûtez à la bagarre culinaire pour départager la mousse de foie de canard et le foie gras de canard. Une question tranchée par un clinquant « quand est-ce qu’on graille ? L’arrière-petit-fils d’Audiard, serait-il dans ce car ? Entendez ce classement des plaisirs savourés dans le pays de papi et mamie : « La piscine, les filles et les massages », saperlipopette, à 10 ans !
Que dire devant cette fillette qui affirme avec l’assurance d’une vendeuse au Salon de l’électroménager que son maître lui fait faire des racines carrées, des racines cubiques, et même des racines « avec un petit x ». Là, une voix mal réveillée fend le brouhaha : « Quoi, une racine kabyle ?! ». Sic. Non, rendors-toi...
Et puis, et puis, il y a Halima et Ismaël qui passent le temps à se jauger à coup de dictées... Ils alternent les rôles, chacun leur tour, ils dictent à l’autre un texte inventé sur le moment puis font corriger par un adulte enrôlé de force. Entre deux dictées, Ismaël informe la cantonade que son livre adoré est l’Odyssée d’Homère, quant à Halima, elle raconte son rôle de conseillère municipale angoumoisine, version enfant... Désarçonnant, non ?
Enfin, le car pose la troupe devant la Cité internationale de la langue française... Surprise, Monsieur, le Maire d’Angoulême, en mode vacances, attend ses jeunes citoyens – et sa conseillère municipale - mains dans les poches de son jean, il papote avec eux, ne rechignant pas à se faire prendre en photo par une nuée de téléphones. Puis, Sarah, guide du lieu, prend le relais. Avec un parfait naturel, la troupe entre dans le château fréquenté autrefois par Molière. Trois fois rien...
Certains de ces gamins frétillants partent en vacances au bled, ou moins loin, d’autres ne partent pas du tout, là, ils sont en vacances en francophonie. Celle qui est bien appuyée sur le latin, le vieux français, les patois de tous les terroirs, les emprunts plus ou moins volontaires aux langues étrangères du bout du monde et les enrichissements parfois drôles grâce à nos francofrères sénégalais, marocains, québécois ou suisses... Bref, ils vont visiter cette langue française, dite monde, bien loin de l’appellation polémique de langue de la colonisation. Dénomination réelle, certes, mais si peu représentative de la formidable mondialisation de notre langue commune.
Qui dit vacances dit jeu. Ils jouent avec les dispositifs mis à leur disposition, ils tripotent les mots, ils vadrouillent entre le patois picard et le créole d’Aimé Césaire, ils entendent avec frémissement que tel mot français vient finalement de l’arabe et que donc la langue française est le fruit d’un long et lent métissage, comme eux, leur voisin de palier ou la copine du jardin d’à côté. Et ça, c’est joyeux.
Les voir sautiller dans tous les sens ou écouter Sarah raconter l’odyssée des mots est la récompense ultime pour Meriem et son équipe. Même si, à la question posée par Sarah : « Savez-vous qui a inventé l’imprimerie ? », une réponse bien franchouillarde tombe : « Napoléon »... et non, l’Empereur au chapeau a, quand même, laissé quelques réalisations à d’autres.
Au retour, en passant devant le Stade de France, les supporters en devenir applaudissent et crient comme si la victoire était au bout du périphérique... « Mbappé ! Mbappé ! Wesh », lance le gamin du troisième rang ! L’Algérie, le Cameroun et la France ont fabriqué l’excellence.
La francophonie peut et doit être joyeuse, merci Meriem et Cie*.
* Khalid Bensaad, Adil Daya, Manel Daoud, Lana Cornier, Mohamed Kourdaci.
Ph : Arnaud Galy - Agora francophone