7 février 2023
Wilfried N’Sondé : « Femme du Ciel et des Tempêtes. » Roman. Arles : Actes Sud 2021. 267 p.

« Femme du Ciel et des Tempêtes » est le sixième roman de Wilfried N’Sondé qui n’arrête pas de nous surprendre par le choix de ses thèmes, par l’élégance de son style et sa façon de captiver la curiosité du lecteur, même par des récits durs à supporter.
Wilfried N’Sondé, originaire de Brazzaville, a grandi dans la région parisienne et a vécu vingt-cinq ans à Berlin où il s’est fait connaître comme chanteur et compositeur en compagnie de son frère. Il vit désormais de nouveau en France.
Nous l’avons vu nous dépeindre dans « Fleur de béton » (2012) la vie dans les quartiers difficiles des banlieues parisiennes et il nous a touché avec "Berlinoise", roman qu’il consacre au Berlin de 1989 juste après la chute du Mur. Dans « Un océan, deux mers, trois continents » (2018) il nous plonge dans les affres de la traite des Noirs d’Afrique, vécue par un témoin d’époque, le prêtre congolais du 17e siècle Dom Antonio Manuel (de son nom véritable Nsaku Ne Vunda). Nommé ambassadeur auprès du Pape par le roi de Bakongo, il s’embarque pour l’Europe via le Brésil, à bord d’un bateau négrier où lui, l’Africain loge avec des officiers bien qu’il partage la couleur de peau des esclaves qui végètent dans la cale du navire. Un roman d’aventures, certes, mais aussi un règlement de compte avec l’esclavage.
Dans son roman « Femme du Ciel et des Tempêtes » Wilfried N’Sondé nous fait vivre une tout autre aventure que l’on croit d’abord sortie de l’imaginaire des auteurs de science-fiction. On a assisté à la découverte de Lucy, notre ancêtre africaine et à celle de Ötzi, l’homme des glaces, une momie découverte dans les glaciers autrichiens. Mais Wilfried N’Sondé va plus loin encore. Car selon les dires d’un chaman de la tribu des Nenets on aurait découvert dans la péninsule de Yamal (= fin du monde dans la langue des peuples de Sibérie), dans le nord-ouest de la Sibérie située dans l’Océan arctique, la sépulture d’une reine à la peau noire. Y aurait-il un lien entre l’Afrique et la Sibérie ? Le chaman Noum en est persuadé. Afin de protéger - grâce à sa découverte - les terres de cette région lointaine menacée par l’exploitation gazière, il fait appel à son ami français, Laurent Joubert, un zoologue. Il espère ainsi pouvoir mobiliser les écologistes du monde entier. Laurent, qui compte sur cette expédition pour redorer sa renommée et son avancement scientifiques, organise à la va-vite une petite expédition assez singulière. Il sollicite ainsi l’aide de deux idéalistes : Cosima, médecin légiste germano-japonaise à l’hôpital Charité de Berlin et Sylvère, un jeune anthropologue d’origine congolaise. Une aventure invraisemblable amène le trio malgré tous les obstacles bureaucratiques dans la péninsule de Yamal où le chaman Noum les attend sous sa yourte, appelé tchoum dans le texte.
Mais Serguëi, un mafieux moscovite, a eu vent de cette expédition dont les découvertes éventuelles pourraient anéantir ses projets d’exploitation gazière. Il est guidé par Micha, son homme de main et neveu du chaman Noum. La rencontre est loin d’être amicale et se termine de façon inattendue. Vengeances des forces de la nature ? Un roman d’aventure d’un côté et un roman à la thématique écologique de l’autre. La rencontre entre deux mondes inconciliables, le monde du profit et celui de la protection de la nature. Récit passionnant.
Olivier Guez (dir.) : « Le Grand Tour. Autoportrait de l’Europe par ses écrivains. » Paris : Grasset 2022. 454 pages.

Olivier Guez, à qui on doit cet ouvrage collectif, a emprunté son titre au Grand Tour que faisaient les jeunes aristocrates de l’Europe du Nord au dix-huitième siècle vers les côtes de la Méditerranée. Si la preuve de la grande et toujours étonnante diversité de l’Europe était encore à faire, Olivier Guez y a réussi. Il a invité vingt-sept écrivains, un écrivain par état membre de l’Union européenne à écrire un texte et leur a laissé entière liberté en ce qui concerne la thématique choisie. Heureusement que les écrivains ne nous submergent pas de "déjà-vus", de clichés concernant leur pays respectif, mais nous surprennent agréablement par l’originalité de l’approche.
Et les lecteurs et les lectrices ne seront pas déçus. Ils découvrent ainsi des paysages insolites, des lieux de mémoire très personnels, des enchevêtrements historiques et ils apprenent par exemple les aventures parisiennes du couple danois d’ artistes-peintres Anne et Michael Ancher, qui ont exposé ensemble à Paris, fait rare à l’époque. Anne Ancher (1859-1935), une peintre impressionniste de la communauté d’artistes de Skagen au Danemark. Ce n’est qu’un exemple. Il y aurait d’autres faits aussi intéressants et plutôt saissisants à découvrir, tels les traumatismes décrits par l’écrivaine Agata Tuszynska , traumatismes vécus par ses parents et grands-parents en Pologne à l’époque de la 2e guerre mondiale. Ou le voyage qu’entreprend l’écrivain espagnol Fernando Aramburu à travers l’Europe en compagnie de son fils qu’il initie ainsi à des villes aussi dissemblables que Lisbonne, Ségovie, Hanovre ou Klagenfurt. Une autre sorte d’introduction à la diversité de l’Europe.
« C’est une anthologie cosmopolite, curieuse et cosmopolite,...[...]..En somme,un maximum de diversité dans un minimum d’espace : la définition même de l’Europe par Milan Kundera. » (4e de couverture).
Une autre richesse européenne et un autre exploit à signaler : la diversité linguistique d’un côté et de l’autre le travail des traductrices et traducteurs sans lequel nous n’aurions jamais pu accéder aux textes rédigés dans des langues aussi diverses que le maltais, le letton ou le bulgare, et les comprendre.
Une lecture plus qu’enrichissante. Un « must » absolu pour tout Européen.
Les contributeurs de l’anthologie sont : Daniel Kehlmann (Allemagne), Eva Menasse (Autriche), Lize Spitz (Belgique), Kapka Kassabova (Bulgarie), Stavros Christodoulou (Chypre), Olja Savicevic (Croatie), Jens Christian Grondahl (Danemark), Fernando Aramburu (Espagne), Tiit Aleksjev (Estonie), Sofi Oksanen (Finlande), Maylis de Kerangal (France), Ersi Sotiropoulos (Grèce), Laszlo Krasznahorkai (Hongrie), Colm Toibin (Irlande), Rosella Postorino (Italie), Janis Jonevs (Lettonie), Tomas Venclova (Lituanie), Jean Portante (Luxembourg), Imannuel Mifsud (Malte), Jan Brokken (Pays-Bas), Agata Tuczynska (Pologne), Lidia Jorge (Portugal), Norman Manea (Roumanie), Michal Hvorecky (Slovaquie), Brina Svit (Slovénie), Björn Larsson (Suède), et Katerina Tuckova (République tchèque).