Kaouther Adimi : „Les petits de Décembre.“ Paris : Seuil 2019. 198 pages
« Les petits de Décembre » est le quatrième roman de Kaouther Adimi qui a déjà enchanté ses lecteurs et lectrices avec son roman-hommage « Nos richesses » (2017) ce hymne au livre et aussi à ce grand libraire et éditeur qu’était Edmond Charlot. Les livres de Kaouther Adimi ont tous été salués par la critique et ont reçu plusieurs prix.
Kaouther Adimi place le roman dont il sera question ici sous la "tutelle" de Mohammed Dib dont elle emprunte l’épigraphe suivant qui cerne bien le thème et qui marque bien l’atmosphère du roman :
« L’enfant cherchait.
Une route à peine tracée.
il y allait à tâtons.
Le chemin se perdait.
Noyé sous la pluie.
Et tombait la pluie. »
[Mohammed Dib : L’Enfant-jazz]
« Les petits de Décembre » est un roman émouvant qui, à partir d’un fait divers, plonge le lecteur en plein dans les problèmes actuels de l’Algérie. Cette fois-ci les protagonistes sont des enfants, surtout Inès, 11 ans, Djamil et Mahdi, 10 ans. Trois footballeurs passionnés qui à cause d’une pluie permanente peuvent enfin profiter tout seuls du terrain vague de leur quartier. Terrain qui appartient juridiquement à deux généraux de l’Armée algérienne.
Lorsque les deux généraux, représentants d’un régime de plus en plus contesté, arrivent sur le terrain vague, des plans de construction à la main et le réclament pour y construire de somptueuses villas, ils sont accueillis par une pluie de cailloux, sont tabassés et perdent leurs armes dans l’échauffourée. C’est une véritable petite révolution qui éclate menée par la petite-fille (Ines, 11 ans) d’une icône de l’indépendance de l’Algérie, la moudjahidine Adila, et les copains d’Inès Jamyl et Mahdi.
Contrairement à la génération de leurs parents, les jeunes osent se rebiffer contre la soi-disant autorité, ils font monter la tension et ils réussissent presque à faire enrayer le fonctionnement du régime qui survit grâce aux abus de pouvoir et de la corruption.
Écrit sur un ton faussement léger, ce roman nous raconte une Algérie des quarante dernières années, un roman qui prête une voix plus qu’audible aux femmes d’Algérie. La petite Ines en est une qui dit : Ça suffit !
P.S. « petits » du titre en minuscules !
09 05 2023
J.R. Léveillé : « Le Soleil du Lac qui se couche. » Roman. 2001 (républié en 2009, Saint-Boniface : Les Éditions du Blé dans la collection Bibliothèque canadienne-francaise) et republié en 2013 par Les Éditions de la Peuplade à Chicoutimi, Québec). 117 pages.
« Redécouverte d’un petit bijou »
J.R. Léveillé (*1945), qui n’a plus rien à prouver tant il a œuvré dans tous les genres, nous a légué une petite merveille qui vaut vraiment la peine d’être redécouverte.
« Le Soleil du Lac qui se couche », un titre assez évocateur , un clin d’oeil aux Romantiques tels que Nerval, et néanmoins la traduction littérale du nom du lac manitobain en question : « Setting Lake ». Son auteur, également connu sous son nom complet Joseph Roger Louis Léveillé ou bien J.Roger Léveillé, est l’écrivain francophone du Manitoba le plus connu et le plus important au Canada et peut-être même internationalement. Il mériterait que les lecteurs européens le (re)découvrent.
Il a publié jusqu’ici environ 30 livres et a reçu de nombreuses distinctions. Ses œuvres sont pour la plupart également disponibles en anglais. « Le Soleil du Lac qui se couche » dont il sera question ici, a été publié quasi simultanément dans les deux langues du Canada, fait extrêmement rare et qui souligne l’importance qu’on accorde à l’écrivain J.R.Léveillé.
« Le Soleil du Lac qui se couche » est peut-être l’œuvre le plus accessible de notre auteur, qui a été fortément influencé par l’art du « Nouveau Roman ». Sans être régionaliste, le roman constitue un véritable hommage à la province natale de Léveillé, car il situe pour la première fois l’intrigue dans la ville de Winnipeg et surtout dans le nord du Manitoba. Ce petit roman qui doit pour sa conception et son écriture beaucoup au poète Japonais Matsuo Bashô, inventeur du haïku et qui incarnerait en littérature l’esthétique zen, se compose de petites miniatures ou fragments, 162 en tout, qui se lisent d’une traite. Il met en scène deux personnages : un artiste japonais du nom de Ueno et Angèle, une jeune métisse.
Racontée par la jeune femme, leur rencontre dans une galerie d’art, dans un parc ou dans une imprimerie où Ueno fabrique un livre d’art, leur relation se développe et devient plus intime lorsqu’ils se revoient dans la cabane d’Ueno, cabane surplombant le « Setting Lake », le « Lac qui se couche ». Angèle sort d’une relation avec Aron, un artiste sombre, avant de tomber amoureuse d’Ueno, créateur de lumière. Par la suite elle traduira ses poèmes et Ueno lui fera cadeau de sa sagesse.Voici un petit exemple des échanges d’Angèle, la jeune métisse et de l’artiste Ueno : « Ils ont parlé beaucoup d’encre, de mélanges différents. On a fait plusieurs tirages de certaines gravures, cherchant l’intensité de noir voulue. Le noir, disait Ueno, est au calligraphe japonais ce que la neige est à l’Inuk. Le blanc est un univers, le noir aussi. » (82).
7 février 2023
Wilfried N’Sondé : « Femme du Ciel et des Tempêtes. » Roman. Arles : Actes Sud 2021. 267 p.
« Femme du Ciel et des Tempêtes » est le sixième roman de Wilfried N’Sondé qui n’arrête pas de nous surprendre par le choix de ses thèmes, par l’élégance de son style et sa façon de captiver la curiosité du lecteur, même par des récits durs à supporter.
Wilfried N’Sondé, originaire de Brazzaville, a grandi dans la région parisienne et a vécu vingt-cinq ans à Berlin où il s’est fait connaître comme chanteur et compositeur en compagnie de son frère. Il vit désormais de nouveau en France.
Nous l’avons vu nous dépeindre dans « Fleur de béton » (2012) la vie dans les quartiers difficiles des banlieues parisiennes et il nous a touché avec "Berlinoise", roman qu’il consacre au Berlin de 1989 juste après la chute du Mur. Dans « Un océan, deux mers, trois continents » (2018) il nous plonge dans les affres de la traite des Noirs d’Afrique, vécue par un témoin d’époque, le prêtre congolais du 17e siècle Dom Antonio Manuel (de son nom véritable Nsaku Ne Vunda). Nommé ambassadeur auprès du Pape par le roi de Bakongo, il s’embarque pour l’Europe via le Brésil, à bord d’un bateau négrier où lui, l’Africain loge avec des officiers bien qu’il partage la couleur de peau des esclaves qui végètent dans la cale du navire. Un roman d’aventures, certes, mais aussi un règlement de compte avec l’esclavage.
Dans son roman « Femme du Ciel et des Tempêtes » Wilfried N’Sondé nous fait vivre une tout autre aventure que l’on croit d’abord sortie de l’imaginaire des auteurs de science-fiction. On a assisté à la découverte de Lucy, notre ancêtre africaine et à celle de Ötzi, l’homme des glaces, une momie découverte dans les glaciers autrichiens. Mais Wilfried N’Sondé va plus loin encore. Car selon les dires d’un chaman de la tribu des Nenets on aurait découvert dans la péninsule de Yamal (= fin du monde dans la langue des peuples de Sibérie), dans le nord-ouest de la Sibérie située dans l’Océan arctique, la sépulture d’une reine à la peau noire. Y aurait-il un lien entre l’Afrique et la Sibérie ? Le chaman Noum en est persuadé. Afin de protéger - grâce à sa découverte - les terres de cette région lointaine menacée par l’exploitation gazière, il fait appel à son ami français, Laurent Joubert, un zoologue. Il espère ainsi pouvoir mobiliser les écologistes du monde entier. Laurent, qui compte sur cette expédition pour redorer sa renommée et son avancement scientifiques, organise à la va-vite une petite expédition assez singulière. Il sollicite ainsi l’aide de deux idéalistes : Cosima, médecin légiste germano-japonaise à l’hôpital Charité de Berlin et Sylvère, un jeune anthropologue d’origine congolaise. Une aventure invraisemblable amène le trio malgré tous les obstacles bureaucratiques dans la péninsule de Yamal où le chaman Noum les attend sous sa yourte, appelé tchoum dans le texte.
Mais Serguëi, un mafieux moscovite, a eu vent de cette expédition dont les découvertes éventuelles pourraient anéantir ses projets d’exploitation gazière. Il est guidé par Micha, son homme de main et neveu du chaman Noum. La rencontre est loin d’être amicale et se termine de façon inattendue. Vengeances des forces de la nature ? Un roman d’aventure d’un côté et un roman à la thématique écologique de l’autre. La rencontre entre deux mondes inconciliables, le monde du profit et celui de la protection de la nature. Récit passionnant.
Olivier Guez (dir.) : « Le Grand Tour. Autoportrait de l’Europe par ses écrivains. » Paris : Grasset 2022. 454 pages.
Olivier Guez, à qui on doit cet ouvrage collectif, a emprunté son titre au Grand Tour que faisaient les jeunes aristocrates de l’Europe du Nord au dix-huitième siècle vers les côtes de la Méditerranée. Si la preuve de la grande et toujours étonnante diversité de l’Europe était encore à faire, Olivier Guez y a réussi. Il a invité vingt-sept écrivains, un écrivain par état membre de l’Union européenne à écrire un texte et leur a laissé entière liberté en ce qui concerne la thématique choisie. Heureusement que les écrivains ne nous submergent pas de "déjà-vus", de clichés concernant leur pays respectif, mais nous surprennent agréablement par l’originalité de l’approche.
Et les lecteurs et les lectrices ne seront pas déçus. Ils découvrent ainsi des paysages insolites, des lieux de mémoire très personnels, des enchevêtrements historiques et ils apprenent par exemple les aventures parisiennes du couple danois d’ artistes-peintres Anne et Michael Ancher, qui ont exposé ensemble à Paris, fait rare à l’époque. Anne Ancher (1859-1935), une peintre impressionniste de la communauté d’artistes de Skagen au Danemark. Ce n’est qu’un exemple. Il y aurait d’autres faits aussi intéressants et plutôt saissisants à découvrir, tels les traumatismes décrits par l’écrivaine Agata Tuszynska , traumatismes vécus par ses parents et grands-parents en Pologne à l’époque de la 2e guerre mondiale. Ou le voyage qu’entreprend l’écrivain espagnol Fernando Aramburu à travers l’Europe en compagnie de son fils qu’il initie ainsi à des villes aussi dissemblables que Lisbonne, Ségovie, Hanovre ou Klagenfurt. Une autre sorte d’introduction à la diversité de l’Europe.
« C’est une anthologie cosmopolite, curieuse et cosmopolite,...[...]..En somme,un maximum de diversité dans un minimum d’espace : la définition même de l’Europe par Milan Kundera. » (4e de couverture).
Une autre richesse européenne et un autre exploit à signaler : la diversité linguistique d’un côté et de l’autre le travail des traductrices et traducteurs sans lequel nous n’aurions jamais pu accéder aux textes rédigés dans des langues aussi diverses que le maltais, le letton ou le bulgare, et les comprendre.
Une lecture plus qu’enrichissante. Un « must » absolu pour tout Européen.
Les contributeurs de l’anthologie sont : Daniel Kehlmann (Allemagne), Eva Menasse (Autriche), Lize Spitz (Belgique), Kapka Kassabova (Bulgarie), Stavros Christodoulou (Chypre), Olja Savicevic (Croatie), Jens Christian Grondahl (Danemark), Fernando Aramburu (Espagne), Tiit Aleksjev (Estonie), Sofi Oksanen (Finlande), Maylis de Kerangal (France), Ersi Sotiropoulos (Grèce), Laszlo Krasznahorkai (Hongrie), Colm Toibin (Irlande), Rosella Postorino (Italie), Janis Jonevs (Lettonie), Tomas Venclova (Lituanie), Jean Portante (Luxembourg), Imannuel Mifsud (Malte), Jan Brokken (Pays-Bas), Agata Tuczynska (Pologne), Lidia Jorge (Portugal), Norman Manea (Roumanie), Michal Hvorecky (Slovaquie), Brina Svit (Slovénie), Björn Larsson (Suède), et Katerina Tuckova (République tchèque).