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Les billets littéraires de Peter Klaus

Les billets littéraires de Peter Klaus

7 février 2023 - par Peter Klaus 
 - © Pixabay - Falco
© Pixabay - Falco

14 11 2024

Felwine Sarr : « Les Lieux qui habitent mes rêves, » Roman. Paris : Gallimard 2022. 176 pages

On connaît Felwine Sarr surtout en tant que co-auteur avec Bénédicte Savoy de Restituer le patrimoine africain (2018) que les deux auteurs ont rédigé à la demande du Président Emmanuel Macron. Auteur de plusieurs essais, dont Osons la fraternité (2018) ou Afrotopia (2016), le grand public ne connaît pas ses multiples autres facettes. Un exemple : dans la première maison d’édition sénégalaise qu’il a fondée avec Boubacar Boris Diop, il a publié entre autres le Prix Goncourt sénégalais de 2021, Mohamed Mboucar Sarr.
Felwine Sarr organise également avec Achille M’Bembé les Ateliers de la pensée à Dakar et à Saint-Louis. Mais qui sait que Felwine est aussi musicien et guitariste ?

Et maintenant, il publie son premier roman « Les Lieux qui habitent mes rêves. »
C’est un roman à plusieurs narrateurs, dont certaines voix se font "entendre" à la première personne.
C’est d’abord l’histoire de Fodé et Bouhel, deux frères jumeaux, dont Fodé reste en Afrique et Bouhel roule sa bosse de par le monde. De ses songes, Fodé avait retiré un goût pour la sédentarité, et dans la vie quotidienne il se décide pour une formation de menuisier. Après la mort des parents et d’un sage de son peuple, il devient garde de la mémoire des ancêtres et de leur culte. Un exemple : lors du décès de Ngof, Fodé est chargé des préparatifs de Ndut, un rite ancestral d’initiation masculine. Cette partie du roman située en Afriqué est truffée de phrases en langue sérère, une des langues du Sénégal, avec traduction en bas de page.
Son frère Bouhel, au contraire, avait déjà voyagé aux quatre coins du monde, avant de s’expatrier en France et entamer des études de sémiologie et de littérature comparée à l’Université d’Orléans. C’est là qu’il fait la connaissance d’Ulga, également boursière, qui est originaire de Pologne. Les deux tombent amoureux l’un de l’autre.
Grâce à ses études et sa connaissance d’Ulga il découvre un monde tout à l’opposé de celui de son frère jumeau. Il travaille à côté de ses études aussi pour se changer les idées. Les voyages en Pologne des deux amoureux et le contact avec la famille d’Ulga ne resteront pas sans conséquence. Mais Bouhel garde ses rêves, devenir écrivain ; étudiant il avait déjá publié un roman, et consacrer sa vie au beau et au juste.
Les différentes voix du roman nous font plonger dans des univers bien divers, mais sont reliées par un même thème : une sorte de quête, une quête spirituelle pour Fodé, une quête sentimentale pour Bouhel.
Un roman assez singulier et une sorte de voyage qui nous incite à nous tourner vers l’intérieur de soi !


07 09 2023

Marc Quaghebeur et Cristina Robalo Cordeiro (dir.) : « Oser la langue. »
Bruxelles : P.I.E. Peter Lang 2022. 345 pages.

« Oser la langue », tel fut l’appel lancé par l’Association Européenne d’Études Francophones. L’appel fut entendu et dix-huit auteur(e)s ont osé apporter leur pont de vue de ce qui signifie aujourd’hui la diversité francophone de par le monde .
Malgré tous les obstacles qu’on imagine assez importants, les éditeurs du présent volume ont réussi une gageure : nous faire vivre post festum un colloque imaginaire tout à fait réussi.
Dix-huit contributions, dont certaines assez substantielles pour ne pas dire quelque peu longuettes, en plus de la préface très percutante des deux directeurs du volume qui prépare le lecteur / la lectrice à une aventure linguistique et littéraire tout autour de la langue française.
« Oser la langue », un slogan tout trouvé pour attirer l’attention sur la situation complexe que vit le français de par le monde. Rien de tel que de citer le Prix Goncourt 2021, l’auteur sénégalais Mohamed Mbougar Sarr et les critiques qu’il exprime vis-à-vis d’une France qui a ignoré longtemps et ignore encore souvent ce qui se produit en français dans les marges de la Francophonie, contrairement aux auteur(e)s anglophones africain(e)s qui « disposent d’éditeurs sur le continent et se voient fréquemment couronnés par tel ou tel prix littéraire anglophone » (p.13)
Le collectif « Oser la langue » est divisé en trois parties intitulées respectivement Migrations, Historicités et Résistances, chaque partie comprenant six ou sept contributions. Un premier survol des titres et auteurs traités donne une impression du vaste domaine que constitue la francophonie et ses littératures, une véritable littérature-monde créée en français. On se demande comment la France a pu, dans un passé pas si lointain, regarder avec dédain ou condescendance la création littéraire hors-Hexagone.
Conclusion de cette introduction qui ouvre l’appétit et éveille la curiosité du lecteur et de la lectrice : L’abondance et la qualité des littératures francophones demeurent encore beaucoup trop méconnues. (p.14)

La première partie du volume consacrée aux « Migrations » commence avec la contribution de Maria Centrella qui évoque le bilinguisme souvent forcé de l’immigré tel que développé par Assia Djebar dans son roman "La disparition de la langue française". L’hybridité identitaire qui en résulte ne restera pas limitée à l’œuvre de Djebar, car Souhaila Laasilla présente dans son article sur Abdelwahab Meddeb un écrivain tunisien multilingue qui dans son roman "Talismano" clame un humanisme nouveau en développant une écriture cosmopolite générant un débordement de langues (p.39).
Du Maghreb, le lecteur est amené par Cristina Alvares à l’Île Maurice où il fait la connaissance de Nathacha Appanah, une de ses écrivaines contemporaines qui a vécu pendant quelques années également à Mayotte et connaît donc les conditions de ces univers insulaires assez complexes. C.Alvares nous présente l’Île Maurice comme un lieu de jonction entre post-esclavage et Shoah ( le protagoniste du roman "Tropique de la violence" s’appelle Moïse !) [p.51]. Le roman de Nathacha Appanah "donne à cette île oubliée"(Mayotte) une place dans ce que Walter Benjamin appelait « la mémoire des vaincus » (p. 54) et c’est à Mayotte que les migrants découvrent « l’impossibilité d’une île » (p.65).
Hanifa Allaoui se consacre à un domaine moins connu de la francophonie : l’écriture des Juifs d’Algérie. Après un survol historique, elle évoque l’existence d’une littérature judéo-maghrébine de langue française dès la fin du 19e siècle, le français ayant servi pour clamer une doublé identité : française et sépharade. (p.69). Pour l’écrivain judéo-algérien Albert Bensoussan, le français est également une seconde patrie, un refuge, un repère identitaire (p.72). Le thème dominant dans l’œuvre d’A. Bensoussan nous dit Hanifa Allaoui, est le souvenir de son départ d’Algérie en 1962 et le retour de l’écrivain en 1982. Il n’est donc pas étonnant que le thème de l’exil domine son œuvre.

Fabrice Schurmans nous présente dans son article deux univers disparates à première vue, celui d’Aimé Césaire et celui de Pepetela (de son vrai nom Artur Carlos Mauricio Pestana dos Santos, écrivain angolais). L’approche théorique de ces deux univers en rupture avec l’Histoire, celui de Césaire et de sa "Tragédie du Roi Christophe" et celui de Pepetela dans sa pièce "A Revolta da Casa dos Idolos" est assez surprenante à première vue. Dans son approche dont l’originalité saute aux yeux, Fabrice Schurmans se base sur les théories du philosophe Stéphane Mosès (né à Berlin en 1931) et de son livre consacré aux trois philosophes judéo-allemands Walter Benjamin, Franz Rosenzweig et Gershom Scholem eux-mêmes en rupture avec l’histoire due à l’Holocaust et la Shoah. Mosès a démontré selon Schurmans que les trois philosophes ont "appartenu pendant longtemps aux marges de la pensée philosophique européenne" (p.88) et le rapport avec Césaire et Pepetela se crée dans cette rupture avec l’Histoire et avec "ce qui se joue dans l’Atlantique noir du point de vue de l’histoire et de la géographie littéraires." (p.95) On devrait donc lire Césaire et Pepetela à la lumière de ce nouveau rapport à l’histoire et au temps.

"Historicités",la deuxième partie du livre, commence par un article de Zahia Zaid intitulé "Oser les francophonismes", dont l’acceptation ne va toujours pas de soi. Selon l’auteure le traitement des variétés francophones ne se fait qu’à travers l’expression de la reconnaissance de l’espace francophone (p.105)
Samira Sidri thématise, quant à elle, la libre-pensée au Maroc, qu’elle présente dans deux romans de l’écrivaine franco-marocaine Saphia Azzedine. La renaissance de la libre-pensée se fait à travers la voix de deux personnages de l’auteure, roman au style dépouillé et licencieux par endroit. La contestation des dogmes religieux est un grand thème, de même que le rapport de force entre les langues, le français et l’arabe.
"Oser la recherche en français à partir des marges", présenté par un groupe de chercheur portugais, relève les défis qu’affronte le français comme outil de communication scientifique. Pour assurer l’avenir du français comme langue de recherche sur le plan international, les auteurs proposent d’établir d’urgence des 2e et 3e cycles universitaires en langue française dans les pays non-francophones.
Dans son article "La langue française, au risque de la contestation" Sorin C. Stan met l’accent sur la spécificité des littératures francophones qui accentueraient par leur propre existence la contestation de la légitimité des institutions françaises pour dire que le français n’est pas de « droit divin » mais plutôt une langue plurielle. Il recourt entre autres à Aimé Césaire pour qui la langue est en même temps un outil des dépossession et de repossession de soi-même. Il faudrait donc « négrifier la langue française » (p.165) à la façon de Césaire et aussi de Kateb Yacine, pour qui le français est « un butin de guerre ».
Charles de Coster, reconnu comme fondateur d’une littérature francophone, et Aimé Césaire insistent sur la dimension sociale, politique et institutionnelle de la langue et s’opposent à son emploi comme outil de pouvoir.
Christiane Kègle aborde un sujet assez singulier dans "Oser renverser le discours de l’historiographie du XIXe siècle". Dans son analyse de l’« Autoprotrait d’un prince francophone » de Marc Quaghebeur elle met l’accent sur le fait que le français était la langue maternelle de l’empereur Charles Quint, dont la politique aurait été marquée par une vision supranationale. Son discours d’abdication devant les représentants de ses États s’était fait en français, langue en usage à la cour de Bourgogne. Marc Quaghebeur a donc, selon Christiane Kègle, fait ressortir le caractère fondamentalement non-belliqueux, voire pacifiste de Charles Quint. Un fait assez surprenant qui nous dévoile un Empereur (francophone) qui régnait sur des vastes territoires et où se parlaient une multitudes de langues.

À la Jonction des Histoires de José Domingues de Almeida présente un plaidoyer pour le livre et l’école comme lieux de dédommagement et d’émancipation des littératures francophones (sous-titre) et il accentue également le fait que l’interprétation du texte francophone et trop souvent dominée par des attentes et dérives exoticisantes et ethnologiques (p.196). Les exemples qu’il cite pour illustrer son propos sont les romans issus de la littérature post-migrante des années 1980, comme par exemple celui d’Azouz Begag (Le Gone de Chaâba, 1986) et des écrivaines Malika Madi (belgo-algérienne), Maryam Madjidi (franco-iranienne), etc. Dans le roman "Marx et la poupée" (2016), la narratrice de l’ écrivaine Madjidi associe scolarisation, émancipation et intégration et l’auteur de l’article de mettre en garde le critique littéraire tenté de lire du politique dans les textes au lieu "de les utiliser pour en faire." (p.221)
La troisième partie du livre, Résistances, s’ouvre sur l’article de Radia Sami dans lequel elle problématise la situation de la langue française au Maghreb, notamment au Maroc. Pour l’auteure le Maghreb est devenu un espace culturel et linguistique pluriel et le français maghrébin un lieu d’hospitalité et d’intimité (p.225). Le Maroc et l’Algérie ayant officiellement opté pour un bilinguisme arabe/amazigh, la situation du français est par conséquent ambigüe, et cela malgré une di- voire triglossie informelle. Dans l’écriture du français se trouvent donc forcément de nombreux emprunts et calques, ce qui fait du français marocain une variante assez différente du français standard. Conclusion : le français maghrébin traversé par des langues locales revêt un caractère plutôt "épicé" et métissé" (p.239).
Bernadette Desorbay consacre sa contribution à l’élection de l’écrivain haïtiano-québécois Dany Laferrière à l’Académie française. L’Académie française dont Robitaille nous dit qu’elle serait d’une « irréprochable inutilité » (p.242), cette institution de "grandeurs et de misères (p.244), met pour la première fois Haïti à l’honneur. Curieusement, les anciens colonisés ne tiennent pas pour coupable de ses malheurs la France, mais plutôt les planteurs, une sorte de syndrome de Stockholm comme dit Bernadette Desorbay (p.247). "Oser le français en Haïti" équivaut à une gageure, vu l’énorme pourcentage d’analphabétisme. Et Dany Laferrière ne se fait pas le chantre d’un bilinguisme français-créole en Haïti ni du projet altéritaire de la Négritude (p.250), mais il sort un sujet fâcheux pour l’ancienne force coloniale : l’esclavagisme , tout comme pour Kateb Yacine le français fut pour lui aussi un butin de guerre. (p.252).
Dominique Ninanne présente dans "L’Audace langagière pour résister" le roman Guerilla de l’écrivaine bruxelloise Véronique Bergen qui considère l’écriture comme un acte subversif « contre » le réel (p.262). Son personnage principal, l’éco-guerrier peste contre le corset syntaxique qui amidonnerait le francais (p.258). L’ironie et le sarcasme sont des constantes du style de l’auteure et de son personnage et la langue de "Guerilla" se réinvente sans cesse. (p.266).

Dans Audaces autochtones Peter Klaus voudrait donner la parole surtout aux écrivaines amérindiennes du Québec qui vivent actuellement une sorte de renaissance et une visibilité accrue dues entre autres aux succès de librairie, à une reconnaissance internationale et aux retombées des différents prix littéraires des œuvres portées à l’écran. Une sorte de revanche sur le tard vu les méfaits de l’acculturation, l’enfermement dans les pensionnats et la perte des langues et cultures.

La communication d’Emilia Surmonte se consacre à l’œuvre Microfictions de Régis Jauffret, une œuvre qu’elle qualifie de "Comédie humaine " au format poche (p.293), ni essai, ni roman, où Jauffret développe une technique du dialogue à voix seule (p.303.

Catherine Gravel et Thea Rimini thématisent le problème de la traduction à l’exemple des romans d’ Elena Ferrante parus en français. Pour Gravel et Rimini, la traductrice serait une autrice invisible (p.316) et elles postulent que les traducteurs aient le pouvoir de faire de leur travail une pratique lucide, engagée et transformatrice (p. 316). Leur article est un travail rigoureux qui met en lumière les possibilités, les ratés et les échecs de la traduction. Une vision plutôt critique des versions françaises des romans de l’auteure à succès qu’est Elena Ferrante.

Cynthia Eid et Fady Fadel terminent ce parcours proposé par ce volume collectif par un plaidoyer très encourageant en faveur d’un français langue monde. Ils ne disent pas que le monolinguisme est guérissable (mais ils le pensent peut-être), car le monolinguisme ne serait pas un phénomène naturel, plutôt un artefact des État modernes qui l’auraient imposé (p.335).
Un plaidoyer très éloquent pour une éducation plurilingue et pluriculturelle et ceci dans le respect d’autres langues et cultures. Et le "témoin" que citent les auteurs n’est autre que Johann Wolfgang Goethe qui prônait il y a déjà deux siècles l’avènement d’une "Weltliteratur" (littérature-monde) et d’une ouverture culturelle et linguistique vers l’autre.

Pour conclure : "Oser la langue" - une lecture extrêmement variée et enrichissante quant aux trésors et surprises que nous présentent les littératures francophones de par le monde et nous découvrons par dessus tout une langue française, plutôt des langues françaises traversées et travaillées par des influences langagières et culturelles multiples.


07 02 2023

Kaouther Adimi : „Les petits de Décembre.“ Paris : Seuil 2019. 198 pages

« Les petits de Décembre » est le quatrième roman de Kaouther Adimi qui a déjà enchanté ses lecteurs et lectrices avec son roman-hommage « Nos richesses » (2017) ce hymne au livre et aussi à ce grand libraire et éditeur qu’était Edmond Charlot. Les livres de Kaouther Adimi ont tous été salués par la critique et ont reçu plusieurs prix.

Kaouther Adimi place le roman dont il sera question ici sous la "tutelle" de Mohammed Dib dont elle emprunte l’épigraphe suivant qui cerne bien le thème et qui marque bien l’atmosphère du roman :

« L’enfant cherchait.
Une route à peine tracée.
il y allait à tâtons.

Le chemin se perdait.
Noyé sous la pluie.
Et tombait la pluie. »
[Mohammed Dib : L’Enfant-jazz]

« Les petits de Décembre » est un roman émouvant qui, à partir d’un fait divers, plonge le lecteur en plein dans les problèmes actuels de l’Algérie. Cette fois-ci les protagonistes sont des enfants, surtout Inès, 11 ans, Djamil et Mahdi, 10 ans. Trois footballeurs passionnés qui à cause d’une pluie permanente peuvent enfin profiter tout seuls du terrain vague de leur quartier. Terrain qui appartient juridiquement à deux généraux de l’Armée algérienne.
Lorsque les deux généraux, représentants d’un régime de plus en plus contesté, arrivent sur le terrain vague, des plans de construction à la main et le réclament pour y construire de somptueuses villas, ils sont accueillis par une pluie de cailloux, sont tabassés et perdent leurs armes dans l’échauffourée. C’est une véritable petite révolution qui éclate menée par la petite-fille (Ines, 11 ans) d’une icône de l’indépendance de l’Algérie, la moudjahidine Adila, et les copains d’Inès Jamyl et Mahdi.
Contrairement à la génération de leurs parents, les jeunes osent se rebiffer contre la soi-disant autorité, ils font monter la tension et ils réussissent presque à faire enrayer le fonctionnement du régime qui survit grâce aux abus de pouvoir et de la corruption.
Écrit sur un ton faussement léger, ce roman nous raconte une Algérie des quarante dernières années, un roman qui prête une voix plus qu’audible aux femmes d’Algérie. La petite Ines en est une qui dit : Ça suffit !

P.S. « petits » du titre en minuscules !


09 05 2023

J.R. Léveillé : « Le Soleil du Lac qui se couche. » Roman. 2001 (républié en 2009, Saint-Boniface : Les Éditions du Blé dans la collection Bibliothèque canadienne-francaise) et republié en 2013 par Les Éditions de la Peuplade à Chicoutimi, Québec). 117 pages.

« Redécouverte d’un petit bijou »

J.R. Léveillé (*1945), qui n’a plus rien à prouver tant il a œuvré dans tous les genres, nous a légué une petite merveille qui vaut vraiment la peine d’être redécouverte.
« Le Soleil du Lac qui se couche », un titre assez évocateur , un clin d’oeil aux Romantiques tels que Nerval, et néanmoins la traduction littérale du nom du lac manitobain en question : « Setting Lake ». Son auteur, également connu sous son nom complet Joseph Roger Louis Léveillé ou bien J.Roger Léveillé, est l’écrivain francophone du Manitoba le plus connu et le plus important au Canada et peut-être même internationalement. Il mériterait que les lecteurs européens le (re)découvrent.
Il a publié jusqu’ici environ 30 livres et a reçu de nombreuses distinctions. Ses œuvres sont pour la plupart également disponibles en anglais. « Le Soleil du Lac qui se couche » dont il sera question ici, a été publié quasi simultanément dans les deux langues du Canada, fait extrêmement rare et qui souligne l’importance qu’on accorde à l’écrivain J.R.Léveillé.
« Le Soleil du Lac qui se couche » est peut-être l’œuvre le plus accessible de notre auteur, qui a été fortément influencé par l’art du « Nouveau Roman ». Sans être régionaliste, le roman constitue un véritable hommage à la province natale de Léveillé, car il situe pour la première fois l’intrigue dans la ville de Winnipeg et surtout dans le nord du Manitoba. Ce petit roman qui doit pour sa conception et son écriture beaucoup au poète Japonais Matsuo Bashô, inventeur du haïku et qui incarnerait en littérature l’esthétique zen, se compose de petites miniatures ou fragments, 162 en tout, qui se lisent d’une traite. Il met en scène deux personnages : un artiste japonais du nom de Ueno et Angèle, une jeune métisse.
Racontée par la jeune femme, leur rencontre dans une galerie d’art, dans un parc ou dans une imprimerie où Ueno fabrique un livre d’art, leur relation se développe et devient plus intime lorsqu’ils se revoient dans la cabane d’Ueno, cabane surplombant le « Setting Lake », le « Lac qui se couche ». Angèle sort d’une relation avec Aron, un artiste sombre, avant de tomber amoureuse d’Ueno, créateur de lumière. Par la suite elle traduira ses poèmes et Ueno lui fera cadeau de sa sagesse.Voici un petit exemple des échanges d’Angèle, la jeune métisse et de l’artiste Ueno : « Ils ont parlé beaucoup d’encre, de mélanges différents. On a fait plusieurs tirages de certaines gravures, cherchant l’intensité de noir voulue. Le noir, disait Ueno, est au calligraphe japonais ce que la neige est à l’Inuk. Le blanc est un univers, le noir aussi. » (82).


7 février 2023

Wilfried N’Sondé : « Femme du Ciel et des Tempêtes. » Roman. Arles : Actes Sud 2021. 267 p.

« Femme du Ciel et des Tempêtes » est le sixième roman de Wilfried N’Sondé qui n’arrête pas de nous surprendre par le choix de ses thèmes, par l’élégance de son style et sa façon de captiver la curiosité du lecteur, même par des récits durs à supporter.
Wilfried N’Sondé, originaire de Brazzaville, a grandi dans la région parisienne et a vécu vingt-cinq ans à Berlin où il s’est fait connaître comme chanteur et compositeur en compagnie de son frère. Il vit désormais de nouveau en France.
Nous l’avons vu nous dépeindre dans « Fleur de béton » (2012) la vie dans les quartiers difficiles des banlieues parisiennes et il nous a touché avec "Berlinoise", roman qu’il consacre au Berlin de 1989 juste après la chute du Mur. Dans « Un océan, deux mers, trois continents » (2018) il nous plonge dans les affres de la traite des Noirs d’Afrique, vécue par un témoin d’époque, le prêtre congolais du 17e siècle Dom Antonio Manuel (de son nom véritable Nsaku Ne Vunda). Nommé ambassadeur auprès du Pape par le roi de Bakongo, il s’embarque pour l’Europe via le Brésil, à bord d’un bateau négrier où lui, l’Africain loge avec des officiers bien qu’il partage la couleur de peau des esclaves qui végètent dans la cale du navire. Un roman d’aventures, certes, mais aussi un règlement de compte avec l’esclavage.
Dans son roman « Femme du Ciel et des Tempêtes » Wilfried N’Sondé nous fait vivre une tout autre aventure que l’on croit d’abord sortie de l’imaginaire des auteurs de science-fiction. On a assisté à la découverte de Lucy, notre ancêtre africaine et à celle de Ötzi, l’homme des glaces, une momie découverte dans les glaciers autrichiens. Mais Wilfried N’Sondé va plus loin encore. Car selon les dires d’un chaman de la tribu des Nenets on aurait découvert dans la péninsule de Yamal (= fin du monde dans la langue des peuples de Sibérie), dans le nord-ouest de la Sibérie située dans l’Océan arctique, la sépulture d’une reine à la peau noire. Y aurait-il un lien entre l’Afrique et la Sibérie ? Le chaman Noum en est persuadé. Afin de protéger - grâce à sa découverte - les terres de cette région lointaine menacée par l’exploitation gazière, il fait appel à son ami français, Laurent Joubert, un zoologue. Il espère ainsi pouvoir mobiliser les écologistes du monde entier. Laurent, qui compte sur cette expédition pour redorer sa renommée et son avancement scientifiques, organise à la va-vite une petite expédition assez singulière. Il sollicite ainsi l’aide de deux idéalistes : Cosima, médecin légiste germano-japonaise à l’hôpital Charité de Berlin et Sylvère, un jeune anthropologue d’origine congolaise. Une aventure invraisemblable amène le trio malgré tous les obstacles bureaucratiques dans la péninsule de Yamal où le chaman Noum les attend sous sa yourte, appelé tchoum dans le texte.
Mais Serguëi, un mafieux moscovite, a eu vent de cette expédition dont les découvertes éventuelles pourraient anéantir ses projets d’exploitation gazière. Il est guidé par Micha, son homme de main et neveu du chaman Noum. La rencontre est loin d’être amicale et se termine de façon inattendue. Vengeances des forces de la nature ? Un roman d’aventure d’un côté et un roman à la thématique écologique de l’autre. La rencontre entre deux mondes inconciliables, le monde du profit et celui de la protection de la nature. Récit passionnant.


Olivier Guez (dir.) : « Le Grand Tour. Autoportrait de l’Europe par ses écrivains. » Paris : Grasset 2022. 454 pages.

Olivier Guez, à qui on doit cet ouvrage collectif, a emprunté son titre au Grand Tour que faisaient les jeunes aristocrates de l’Europe du Nord au dix-huitième siècle vers les côtes de la Méditerranée. Si la preuve de la grande et toujours étonnante diversité de l’Europe était encore à faire, Olivier Guez y a réussi. Il a invité vingt-sept écrivains, un écrivain par état membre de l’Union européenne à écrire un texte et leur a laissé entière liberté en ce qui concerne la thématique choisie. Heureusement que les écrivains ne nous submergent pas de "déjà-vus", de clichés concernant leur pays respectif, mais nous surprennent agréablement par l’originalité de l’approche.
Et les lecteurs et les lectrices ne seront pas déçus. Ils découvrent ainsi des paysages insolites, des lieux de mémoire très personnels, des enchevêtrements historiques et ils apprenent par exemple les aventures parisiennes du couple danois d’ artistes-peintres Anne et Michael Ancher, qui ont exposé ensemble à Paris, fait rare à l’époque. Anne Ancher (1859-1935), une peintre impressionniste de la communauté d’artistes de Skagen au Danemark. Ce n’est qu’un exemple. Il y aurait d’autres faits aussi intéressants et plutôt saissisants à découvrir, tels les traumatismes décrits par l’écrivaine Agata Tuszynska , traumatismes vécus par ses parents et grands-parents en Pologne à l’époque de la 2e guerre mondiale. Ou le voyage qu’entreprend l’écrivain espagnol Fernando Aramburu à travers l’Europe en compagnie de son fils qu’il initie ainsi à des villes aussi dissemblables que Lisbonne, Ségovie, Hanovre ou Klagenfurt. Une autre sorte d’introduction à la diversité de l’Europe.
« C’est une anthologie cosmopolite, curieuse et cosmopolite,...[...]..En somme,un maximum de diversité dans un minimum d’espace : la définition même de l’Europe par Milan Kundera. » (4e de couverture).
Une autre richesse européenne et un autre exploit à signaler : la diversité linguistique d’un côté et de l’autre le travail des traductrices et traducteurs sans lequel nous n’aurions jamais pu accéder aux textes rédigés dans des langues aussi diverses que le maltais, le letton ou le bulgare, et les comprendre.
Une lecture plus qu’enrichissante. Un « must » absolu pour tout Européen.

Les contributeurs de l’anthologie sont : Daniel Kehlmann (Allemagne), Eva Menasse (Autriche), Lize Spitz (Belgique), Kapka Kassabova (Bulgarie), Stavros Christodoulou (Chypre), Olja Savicevic (Croatie), Jens Christian Grondahl (Danemark), Fernando Aramburu (Espagne), Tiit Aleksjev (Estonie), Sofi Oksanen (Finlande), Maylis de Kerangal (France), Ersi Sotiropoulos (Grèce), Laszlo Krasznahorkai (Hongrie), Colm Toibin (Irlande), Rosella Postorino (Italie), Janis Jonevs (Lettonie), Tomas Venclova (Lituanie), Jean Portante (Luxembourg), Imannuel Mifsud (Malte), Jan Brokken (Pays-Bas), Agata Tuczynska (Pologne), Lidia Jorge (Portugal), Norman Manea (Roumanie), Michal Hvorecky (Slovaquie), Brina Svit (Slovénie), Björn Larsson (Suède), et Katerina Tuckova (République tchèque).


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