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Regards décalés

Regards décalés

10 octobre 2018 - par Agnès Ohanian 
Création des étudiants de TUMO basée sur la mythologie arménienne - Aimablement prêtée par TUMO
Création des étudiants de TUMO basée sur la mythologie arménienne
Aimablement prêtée par TUMO

12 10 2018
TUMO !

En 2011, Sam Simonian ouvre la première école de création numérique Tumo à Erevan. Aujourd’hui, l’Arménie compte deux autres centres à Gyumri et à Dilijan, ainsi que le centre de Stepanakert au Haut-Karabagh, qui accueillent au total environ 14 000 étudiants, dont 10 000 à Erevan. L’inscription est totalement gratuite pour les jeunes de 12 à 18 ans. Nous sommes accueillis par l’un des 290 employés du centre, Vahak. Ancien étudiant de Tumo, où il s’est spécialisé dans l’une des 14 disciplines proposées, la musique, et il étudie parallèlement à l’Université américaine d’Erevan. Vahak est né à Sarcelles, en France, et il vit à Erevan depuis qu’il a 6 ans. Sa mère est née en France et son père est né en Arménie soviétique ; ils se sont rencontrés en 1988 alors qu’ils proposaient tous deux leur aide pour les sinistrés du tremblement de terre de Gyumri et Spitak (1). Après avoir combattu au Haut-Karabagh, son père est allé s’installer en France. Ainsi, Vahak, sa sœur et son frère sont tous les trois nés en France. Quand Vahak a eu 6 ans, la famille a décidé de retourner vivre en Arménie. Il aime la France, il nous confie qu’il pourrait « traîner dans les rues de Paris du matin au soir », mais l’Arménie, c’est autre chose pour lui et il est heureux de vivre ici. Ainsi, pour notre plus grand plaisir, notre guide est parfaitement francophone !

Dans le cadre de ses études de musique à l’école Tumo, Vahak a créé le groupe Pyramidz2 (hip-hop, funk). Le groupe enregistre actuellement un album qui sortira le mois prochain. Notre guide a l’air d’avoir l’habitude de faire visiter son école, nous passons de salle en salle et les explications sont très complètes.

Tumo est un immense bâtiment qui accueille chaque jour environ 3000 étudiants. Au rez-de-chaussée, plusieurs dizaines d’ordinateurs sont mis à leur disposition. Vahak me montre la plateforme Tumo Path sur laquelle chaque étudiant a un accès personnel qui lui permet de se connecter et de s’exercer dans les 14 spécialités enseignées à l’école ; des textes, des photos et des vidéos permettent aux étudiants de se familiariser avec chacune des disciplines avant de choisir celle qui les intéresse le plus. Ensuite, ils peuvent participer aux ateliers de la discipline choisie ; il y a chaque jour trois sessions d’atelier de 2 heures. Enfin, le dernier niveau, appelé « learning lab » permet aux étudiants de se spécialiser dans leur discipline en participant à des cours proposés par des intervenants extérieurs à l’école.

Vahak a lui-même été étudiant à Tumo depuis 2011 avant d’y travailler. Il a suivi des cours de programmation et de robotique. Nous le suivons dans le studio de musique où il nous explique le déroulement de l’atelier. Le premier niveau est consacré à la familiarisation avec le logiciel de musique Logic Pro. Le deuxième niveau est plus théorique, les étudiants suivent des cours d’histoire de la musique, de solfège, d’harmonie. Enfin, au troisième niveau, ils doivent proposer un projet en groupe ou individuellement. Une fois les trois niveaux passés, l’étudiant peut choisir de se réorienter dans une autre discipline ou bien de proposer un projet professionnel dans la discipline étudiée. C’est ce qu’a fait Vahak avec la création du groupe Pyramidz. En 2016, Tumo a permis au groupe de se produire à New York à l’occasion des 110 ans de l’UGAB (Union générale arménienne de bienfaisance).

Nous sortons du studio de musique, nous passons à côté de la cafeteria où nous croisons un groupe de visiteurs venus dans le cadre du Sommet de la Francophonie, et nous entrons dans la salle de cinéma. Ici, des projections de films sont régulièrement proposées ; à la fin de chaque séance, les étudiants sont invités à analyser ensemble le film. Vahak nous montre également la salle de jeux vidéos, réservées aux étudiants de cette discipline qui ont créé l’année dernière le jeu Tales of Neto, disponible sur l’AppStore et Android.
 
 Malheureusement, nous n’avons pas pu visiter la salle de robotique ; le département de robotique est un des plus importants de l’école. L’année dernière, cinq étudiants de l’école ont voyagé à Washington pour présenter leur robot qui a obtenu la médaille de bronze parmi plus de 150 pays (3).

Tumo est devenu aujourd’hui une franchise : le mois dernier un centre a été inauguré à Paris, dans le Forum des Halles. En novembre prochain, un nouveau centre ouvrira ses portes à Beyrouth. Les villes de Tirana et Moscou sont également intéressées par le projet. Cependant, l’objectif principal de Sam Simonian est d’ouvrir une école dans chaque région d’Arménie ; deux nouveaux centres ouvriront bientôt leurs portes à Masis et à Koghb. Le bâtiment dans lequel nous nous trouvons appartient entièrement à Tumo, mais seuls le rez-de-chaussée et le premier étage sont destinés à l’accueil des étudiants et des employés, les autres étages étant donnés à la location pour permettre le financement de l’école. Les centres de Gyumri et de Stepanakert bénéficient d’un financement de l’UGAB, tandis que celui de Dilijan de l’aide de la Banque centrale de Dilijan.

En sortant de l’école, nous nous retrouvons dans un grand parc, où une fontaine est programmée par les étudiants de l’école, et où l’on trouve également un terrain de foot et de basket. Vahak insiste sur le fait que Tumo accueille tous les étudiants désireux d’apprendre, même s’ils présentent un handicap physique ou mental – ce qui marque la différence avec les écoles traditionnelles du pays. En espérant que Tumo impulsera plus d’inclusion dans les écoles en Arménie...

Notes :
(1) Le 7 décembre 1988, un terrible séisme cause la mort de plus de 20 000 personnes en Arménie. À ce sujet, on peut lire l’article de Katja Doose, « The Armenian Earthquake of 1988 : A Perfect Stage for the Nagorno-Karabakh Conflict », Europe-Asia Studies, 70, 6, 2018.
(2) https://soundcloud.com/tumomusic/albums
(3) FIRST Global Youth Robotics Competition.


11 10 2018
Un chocolatier ivoirien sous le charme de l’Arménie

Au village de la francophonie, les chocolats d’Axel Emmanuel Gbaou, chocolatier ivoirien, attirent les passants gourmands. Axel Emmanuel est champion de Côte d’Ivoire et vice-champion d’Afrique en chocolat et pâtisserie ; ses créations sont vendues dans son pays, mais aussi à Paris et dans quelques autres pays du continent africain... Et peut-être bientôt en Arménie ! L’ancien banquier s’est reconverti dans la chocolaterie en suivant une formation auprès du chocolatier ivoirien Koné. Réalisant que son pays produit un million de tonnes de fèves de cacao chaque année, dont 80 % sont achetés un an à l’avance par de grands groupes tels que Nestlé, il a démissionné de la banque dans laquelle il travaillait et s’est lancé dans le projet de mise en valeur de cette richesse nationale. Il compte aujourd’hui une centaine de recettes originales de chocolats, mais aussi des créations artistiques telles que des masques africains en chocolat que nous pouvons trouver à la boutique du musée du Quai Branly à Paris. En 2014, il participe pour la première fois au Sommet de la Francophonie à Dakar, puis en 2016, au Salon du chocolat à Paris. Nous le retrouvons aujourd’hui à Erevan, où ses chocolats sont un grand succès auprès des Arméniens.

Environ 15 personnes travaillent dans son laboratoire à Abidjan, mais Axel Emmanuel ne se contente pas de préparer du chocolat ni d’inventer des recettes, il s’est également lancé dans la formation des femmes de planteurs de cacao. Pour le moment, il a formé environ 1000 femmes en Côte d’Ivoire, mais il compte profiter de l’importance des réseaux sociaux en Afrique pour former environ 25 000 femmes en trois ans, notamment par vidéoconférence, ce qui selon lui est possible sur le continent le plus connecté du monde. D’autant plus que les femmes qu’il a formées sont aujourd’hui capables d’en former d’autres, ce qui lui permettrait alors d’atteindre son objectif.

Un sommet de la Francophonie en Arménie
Pour le chocolatier, le Sommet de la Francophonie en Arménie est une réussite. Il apprécie la bonne organisation du village, et notamment le travail des bénévoles qui sont très enthousiastes et l’aident à communiquer avec les visiteurs non francophones. Et puis, les journées ensoleillées lui rappellent le temps de l’Afrique, ce qui le rend très heureux. Axel Emmanuel adore l’Arménie, et l’Arménie adore ses chocolats. Nous ne sommes qu’au quatrième jour de l’ouverture du village, et son stock de 500 kg de tablettes de chocolat est déjà écoulé ! « L’Arménie est un endroit fabuleux que je n’ai même plus envie de quitter ! Il y a tellement de choses différentes à découvrir, et surtout les gens sont bien hospitaliers. ». Même conscient de la grande curiosité, parfois déplacée, des Arméniens qui insistent pour prendre des selfies avec lui, le chocolatier n’a pas souvenir d’une mauvaise expérience durant son séjour, où les gens sont curieux, certes, mais gentils et bienveillants, nous dit-il. Il ajoute qu’il n’avait pas connu le même succès à Dakar, quatre ans auparavant, car il n’y avait pas autant d’engouement sur le village qu’à Erevan. Et puis, les Arméniens sont bien plus francophiles que les Sénégalais, dit-il, ils sont donc plus curieux de venir visiter le village. À Dakar, il avait créé de nouvelles recettes de chocolats avec les saveurs locales telles que le baobab, la mangue séchée, le bissap ou encore l’arachide. Arrivé le 6 octobre dernier à Erevan, il est déjà en train de songer à de nouvelles recettes en utilisant la grenade et l’abricot.

Une grenade contre une cabosse de cacao
Le séjour d’Axel Emmanuel à Erevan est marqué par les rencontres et les découvertes. Le chocolatier qui ne connaissait l’Arménie qu’à travers les Jeux olympiques et le génocide de 1915, découvre un pays et un peuple dont l’histoire le passionne. Il est fier de rappeler que nous fêtons cette année les 2800 ans de la capitale arménienne.
Il découvre aussi de nouvelles saveurs qu’il ne connaissait pas. Par exemple, le chocolatier ne peut plus se passer de la grenade, qu’il déguste tous les jours sur son stand. Il y a quelques jours, Axel Emmanuel a accepté de troquer une cabosse de cacao contre une grenade que lui a apporté un Arménien, qui ne parlait ni français ni anglais, très intéressé par ce fruit qu’il n’avait jamais vu auparavant... de la même manière qu’Axel Emmanuel ne connaissait pas la grenade ! Un bel exemple d’échange culturel que permet le Sommet de la Francophonie. Cet Arménien a même exprimé le souhait de se lancer dans la plantation de cacao en Arménie, après avoir pris quelques renseignements auprès du chocolatier. Le lendemain, ce même homme a apporté des huiles essentielles de grenade et d’abricot avec lesquelles le chocolatier va essayer de créer des ganaches à son retour en Côte d’Ivoire. En tant qu’entrepreneur, nous dit-il, il ne peut laisser passer ce genre d’opportunité, et n’exclut pas l’idée d’un partenariat économique avec l’Arménie. Pour son plus grand plaisir, son stand a même été visité par des représentants d’un supermarché arménien... c’est peut-être le début d’un échange commercial entre les deux pays.

Axel Emmanuel préfère le chocolat noir et corsé avec des éclats de fèves de cacao a aussi un faible pour le chocolat au café Robusta, café qui pousse dans les montagnes de Côte d’Ivoire et qui est pauvre en caféine. Le jour de notre entretien, il a organisé une dégustation de café qui a attiré une foule de visiteurs. Il exprime le désir de revenir en Arménie avant la fin de l’année, peut-être avec de nouvelles recettes à la grenade et à l’abricot... Nous les attendons avec impatience !


10 10 2018
Sortie scolaire

Les professeures de l’École française Anatole France (EFAF) d’Erevan ont proposé à leurs élèves d’assister à une table ronde littéraire organisée le 9 octobre 2018 par l’Ambassade de France autour du thème « En français : langue d’amour, langue de combat ». Les écrivaines et les écrivains Monique Ilboudo (Burkina Faso), Lyonel Trouillot (Haïti), Jean-Marc Turine (1) (Belgique), ainsi que Leïla Slimani (France, Maroc) ont été invités pour une discussion, modérée par Gilles Kraemer, directeur de la maison d’édition Riveneuve.

Nous partons du village de la Francophonie où les élèves de l’EFAF, à force d’y être présents tous les jours, s’y sentent maintenant comme des poissons dans l’eau. Nous partons de la place de la Liberté, descendons l’avenue du Nord pour arriver au théâtre Arno Babadjanyan qui se situe sur la rue Abovyan, juste à côté de la place de la République. Les professeures d’histoire-géo, de français et d’espagnol accompagnent huit élèves des classes de première et de terminal. En chemin, ceux-ci s’arrêtent pour boire quelques gorgées d’eau au pulpulak (2). Parmi eux, certains sont nés en Arménie, d’autres en France, d’autres encore en Iran. Ils parlent français entre eux, parce que « c’est plus facile », disent-ils.

La joyeuse équipe arrive dans la salle du théâtre Arno Babadjanyan. Nous sommes accueillis par un court concert de musique de chambre. La salle est remplie à moitié par une écrasante majorité de femmes. Gilles Kraemer salue la salle, « Barev dzez ev bari galust (3) », et présente les invités : Leïla Slimani, dont le roman Chanson douce, récemment traduit en arménien, a reçu le prix Goncourt en 2016 ; Monique Ilboudo, dont le dernier ouvrage paru cette année s’intitule Si loin de ma vie ; Jean-Marc Turine, auteur de La Théo des fleuves ; ainsi que Lyonel Trouillot, auteur de Ne m’appelle pas capitaine.

Charles Aznavour
Premier tour de table à la mémoire de Charles Aznavour, défenseur de la langue française et de l’écriture (5). « Comme ils disent » est la chanson préférée de Leïla Slimani qui se sent proche du chanteur qui ne compartimentait pas ses nationalités : elle aussi est à 100 % marocaine et à 100 % française ; pour Monique Ilboudo, Aznavour était la preuve que les migrations sont une richesse, « En haut de l’affiche » est la chanson qu’elle retient ; Jean-Marc Turine partage avec l’artiste l’amour de l’écriture ; tandis que Lyonel Trouillot décrit le chanteur comme « le peintre de la catastrophe qu’est le couple », avec sa chanson « Tu te laisses aller ». Charles Aznavour était un artiste complet et aux multiples facettes dans lequel chacun des écrivaines et des écrivains peut se reconnaître.

Parler plusieurs langues
Leïla Slimani mentionne l’exemple du Maroc qui est un pays plurilingue : le français, l’arabe (le darija, dialecte marocain), l’espagnol ainsi que les langues berbères y sont parlés. La particularité de ce pays est que le darija, la langue qui est parlée dans la rue n’est pas enseignée à l’école, où l’on apprend l’arabe classique. Cependant, les dernières années sont marquées par une revalorisation de cette langue grâce notamment aux réseaux sociaux et aux musiques urbaines. L’écrivaine rappelle également que l’arabe classique est considéré comme une langue religieuse, mais elle n’est pas que cela : elle est aussi une langue de la littérature et de la poésie ; de la même manière que le français n’est pas seulement une langue de la domination, comme peuvent le penser certains. Sur la question du bilinguisme, Lyonel Trouillot note que le créole accède aujourd’hui peu à peu au rang de langue littéraire.

Féminisme
La langue française est aussi une langue de combat. Les écrivaines Leïla Slimani et Monique Ilboudo notent que la langue française est une bonne alliée pour mener le combat féministe, car elle permet de réunir les voix. Elles ont participé au Parlement des écrivaines francophones qui a eu lieu à Orléans du 26 au 28 septembre dernier et qui a réuni une soixantaine d’écrivaines de 27 pays.
Sont évoquées la féminisation du français ainsi que la question de l’écriture inclusive, que Leïla Slimani et Jean-Marc Turine trouvent illisibles, dans le sens où elle ne permet pas la poésie, tout en étant en accord avec le combat. L’écrivain haïtien appelle à ne pas fétichiser la langue, « la langue est ce que nous en faisons », dit-il, en rappelant d’ailleurs que le Code noir a été écrit dans un très bon français... Tous se rejoignent en se positionnant contre l’idéologisation des langues : de la même manière que l’arabe n’est pas la langue de l’islamisme, le français n’est pas la langue de la colonisation. On se souvient alors de l’écrivain Kateb Yacine qui comparait la langue française à un « butin de guerre », que l’on ne rend pas une fois la guerre terminée...

La lecture
À la question posée par une femme du public « Quelle est l’attitude de la jeunesse envers la lecture ? », Leïla Slimani rappelle qu’il y a un problème d’accès à la lecture au Maroc, dû au fort taux d’analphabétisme, ce que confirme Monique Ilboudo pour le Burkina Faso. Cependant, l’auteure franco-marocaine évoque le grand appétit de l’écriture chez les jeunes. Par ailleurs, elle voit un lien de corrélation entre le développement des droits des femmes et l’accès à la littérature en prenant l’exemple de la Finlande, premier pays au monde ayant accordé le droit de vote aux femmes en 1907, où 5 millions d’habitants empruntent 68 millions de livres chaque année dans les bibliothèques. À méditer...

Notes :
(1) Prix des cinq continents 2018
(2) Fontaine d’eau que l’on trouve à chaque coin de rue en Arménie.
(3) « Bonjour et bienvenue », en arménien
(4) À écouter ou à lire : Écrire, Charles Aznavour.


07 10 2018 (2)
Ouverture du village de la Francophonie sur la place de la Liberté à Erevan

On entre sur la grande place surplombée par l’Opéra, œuvre de l’architecte Tamanyan. Après avoir passé les contrôles de police, on se retrouve face à une scène installée pour l’occasion, où défilent concerts de « duduk jazz » et écoliers chantant des chansons de Charles Aznavour, de Zaz, et d’autres figures de la francophonie. Le pavillon de la francophonie ainsi que celui de l’Arménie se trouvent de chaque côté de la scène. Ce dernier se présente sous la forme d’un petit musée d’artisanat arménien : des tapis aux khachkar (croix de pierre), en passant par l’orfèvrerie y sont exposés. Des éléments suscitent l’étonnement : un pavillon Coca-Cola – nouveau pays de la francophonie ? Ou encore Yandex Taxi qui a également un petit stand dans le village...
Devant le pavillon du Liban, on fait la queue ! Pas de meilleure recette pour attirer l’attention que de proposer les bons mets culinaires du Levant. Les marionnettes géantes, le lion et le crocodile, de la Caravane des 10 mots, arpentent la place sous les regards curieux, joyeux, un peu effrayés aussi, des enfants et des plus grands. Les policiers font leur ronde, ainsi que les agents de collecte des déchets qui se faufilent entre les visiteurs pour ramasser les morceaux de papier tombés par terre. Des soldats en permission croisent des Africains et les arrêtent pour faire un selfie... c’est certainement la première fois que ces deux cultures ont l’occasion de se rencontrer. Il faut rappeler que l’Arménie est un pays très homogène – plus de 95 % d’Arméniens ethniques – la diversité culturelle ne fait donc pas partie du paysage habituel.
À l’issue de l’ouverture du village, ce qui a retenu notre attention est l’affluence. Que ce soit pour faire la révolution, pour rendre hommage à l’artiste franco-arménien récemment disparu, ou pour venir au Sommet de la francophonie, les Arméniens montrent une fois de plus qu’ils savent être au rendez-vous.

La Caravane des 10 mots ambiance le village !

07 10 2018
Un étrange Sommet de la Francophonie

Cette année, c’est l’Arménie, pays bien plus francophile que francophone (1), qui a été choisie pour accueillir le XVIIe Sommet de la Francophonie. À quelques heures de son lancement, le moment n’est plus à l’étonnement, mais à l’organisation des derniers préparatifs. Or, 2018 est une année mouvementée pour l’Arménie... et nous ne sommes qu’en octobre ! Posons le contexte.

Printemps 2018 : la Révolution de velours

En avril dernier, alors que Serj Sargsyan finissait son deuxième et dernier mandat présidentiel et s’apprêtait à devenir Premier ministre, le peuple arménien qui avait appris à se taire pendant près d’un siècle de domination soviétique a renoué avec sa tradition révolutionnaire. Durant dix jours, des manifestations d’une intensité et d’une densité remarquables ont lieu dans les rues de la capitale, Erevan, mais aussi dans d’autres villes du pays. Les manifestants sont pour la plupart de jeunes étudiants, de la génération née après la chute de l’URSS, dans un monde mondialisé et connecté où les aspirations à la liberté et à la démocratie dépassent les frontières.

Le mot d’ordre des centaines de milliers de manifestants : faire tomber un régime par des moyens pacifiques. En Arménie, la colère s’exprime en dansant, en chantant, en frappant unanimement dans ses mains, en s’asseyant au milieu des routes pour empêcher les voitures de passer, en criant « la police est à nous ! », et en nettoyant les rues les lendemains de manifestations... Le 23 avril, Serj Sargsyan démissionne. Nikol Pashinyan, ancien journaliste, député, chef du parti Elq, est élu Premier ministre le 8 mai (2).

Ainsi, à quelques mois du Sommet de la Francophonie, l’Arménie est en pleine redéfinition politique. Mais il y a au moins une bonne nouvelle dans ce chaos politique : le nouveau Premier ministre, Nikol Pashinyan, est, contrairement à son prédécesseur... francophone !

1er octobre 2018 : adieu Charles...

Nous sommes à quelques jours du lancement du Sommet de la Francophonie, et l’Arménie est en deuil national. Charles Aznavour, artiste « à 100 % français et à 100 % arménien », tel qu’il se définissait lui-même, nous a quittés le 1er octobre 2018 à l’âge de 94 ans. Depuis l’annonce de la nouvelle, ses chansons qui ont marqué plus d’une génération s’écoutent en boucle dans les magasins, les cafés, les restaurants et même les musées de la capitale arménienne. Cette ambiance sonore rappelle que la figure du chanteur représentait pour les uns un modèle d’intégration républicain réussi, tandis que les autres n’oublieront pas ses efforts déployés pour la construction de la République d’Arménie. Il se comparait au café au lait, qui une fois mélangé ne permet plus de distinguer le café du lait : il voulait représenter le mélange parfait de deux cultures, et l’on peut dire aujourd’hui peur de se tromper qu’il a réussi son pari. Il était à la fois une figure majeure de la culture française et francophone, mais il venait d’ailleurs et ne l’oubliait pas.
Sa disparition plonge l’Arménie dans une ambiance absolument francophone, et annonce d’une étrange manière l’événement. Sa venue au Sommet n’aura pas lieu, mais sa présence n’aura sans doute jamais été aussi éclatante que ces jours-ci. Il est des coïncidences qui sèment le doute même chez les athées les plus convaincus... Celle-ci est d’une profonde tristesse, mais elle est belle aussi. Avec la mort de Charles Aznavour, c’est la figure majeure de la francophonie arménienne qui s’en va, tandis que la Francophonie s’invite au pays du chanteur.

2 octobre 2018 : Révolution bis ?

Le peuple qui, la veille était sorti rendre hommage à Charles Aznavour, ressort dès le lendemain, cette fois-ci pour exprimer une nouvelle fois sa colère face à l’ancien régime qui espère toujours gratter encore un peu de pouvoir. Ce jour-là, les députés des partis HHK (parti républicain) et de la FRA (Fédération Révolutionnaire Arménienne) tentent de voter discrètement une loi afin d’empêcher la dissolution de l’Assemblée. À l’annonce de la nouvelle par Nikol Pashinyan sur sa page Facebook, vingt minutes suffisent pour que la foule investisse la rue Baghramian, et finisse par entrer dans l’enceinte du Parlement... L’ambiance, toujours absolument pacifique et joyeuse, rappelle les événements du printemps dont beaucoup étaient déjà nostalgiques. Cependant, il s’agit bien d’une crise politique : certains doutent, pensent que dans ces conditions le Sommet devra être annulé... Rassurons-nous, cette rumeur est rapidement démentie. Ce soir-là, Nikol Pashinyan annonce sa démission prochaine qui entraînera la dissolution de l’Assemblée, et permettra ainsi d’organiser des élections anticipées au mois de décembre prochain.

Oui, l’année 2018 restera gravée dans les mémoires arméniennes... mais aussi francophones !


(1) Lire l’article d’Anne Françoise Counet « Un pays plus francophile que francophone », 5 octobre 2018.
(2) Lire l’article d’Elodie Gavrilof, « La « révolution de velours » : l’Arménie au prisme d’un mouvement social et politique sans précédent », à paraître en octobre 2018.

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