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Au fil de la Langue de Barbarie

Au fil de la Langue de Barbarie

Saint-Louis, patrimoine mondial en danger

Enquête et témoignage. Par Marie-Anne O’Reilly, contributrice au réseau AGORA - ZIGZAG - AFI. (Photo : A Galy - ZigZag)

8 mars 2015 - par Marie-Anne O’Reilly 
Faire vite, sinon...

En octobre 2003, afin de protéger l’île des inondations à la suite de très fortes pluies, une brèche artificielle a été ouverte sur la Langue de Barbarie, mince bande de terre qui sépare le fleuve Sénégal de l’océan Atlantique, à quelques kilomètres de la ville de Saint-Louis. D’une largeur d’à peine 4 mètres au départ, cette ouverture n’a cessé de s’agrandir depuis, prenant des proportions inattendues et entrainant une multitude de conséquences sur l’environnement. Ainsi, en 2012, l’érosion et la force des courants ont entrainé l’ouverture naturelle d’une seconde brèche, 800 mètres au sud de la première. Les deux brèches se sont finalement rejointes en 2013. En seulement 10 ans, ce qui n’était qu’un coup de pelleteuse a atteint une dimension de 5 km, et continue toujours de gagner du terrain. Une situation de plus en plus inquiétante pour la région, qui craint de voir disparaître entièrement la Langue de Barbarie, ce qui exposerait directement Saint-Louis aux intempéries venues de l’océan Atlantique.

Outre l’érosion, les conséquences environnementales de l’élargissement de la brèche sont nombreuses et préoccupantes. La salinisation du fleuve, notamment, menace l’écosystème marin et met en péril certaines espèces de poissons, ce qui à terme pourrait avoir un impact sur la pêche. L’océan a également englouti nombre de terres cultivables et plusieurs communautés ont dû abandonner leur village, gagné par les eaux, pour trouver refuge ailleurs. C’est aussi le cas de deux campements touristiques, qui ont été emportés par l’océan. Sans compter les effets pervers sur l’industrie du tourisme, particulièrement touchée par la disparition de la Langue de Barbarie. Par ailleurs, la brèche n’est pas stable et se déplace lentement vers le sud. Ainsi, une mince bande de terre vient tranquillement s’installer là où la première brèche s’est ouverte en 2003. C’est maintenant le Parc national situé tout au sud de la zone qui se trouve menacé par le déplacement de la brèche. Si les oiseaux et les tortues qu’on y retrouve n’ont plus d’endroit pour se poser et pondre leurs œufs, ce sont plusieurs espèces qui risquent de disparaître de la région et qui devront trouver un autre lieu pour effectuer leur migration.

Un temps l’ouverture de la brèche a pourtant fait bien le bonheur des pêcheurs, leur permettant d’atteindre l’océan sans avoir à se rendre jusqu’à l’embouchure du fleuve, 30 kilomètres plus loin. Son passage dangereux a cependant entrainé le naufrage de plusieurs pirogues et fait de nombreux morts. On estime à environ 300 le nombre de victimes de la brèche depuis sa création, un insupportable coût à payer en terme de vies humaines. Les autorités affirment que la brèche est problématique depuis 2008, alors qu’elle avait déjà atteint en seulement cinq ans une largeur de 2,5 kilomètres. Le temps de réaction de l’État sénégalais a été long avant que le signal d’alarme ne soit réellement déclenché et que des mesures soient mises en place pour éviter le pire.

Marie-Anne O’Reilly à l’écoute de la position officielle.... mairie de Saint-Louis.

Notre passage à Saint-Louis, tout juste après le XVe Sommet de la Francophonie à Dakar, se déroulait justement quelques jours après le départ d’une équipe d’experts néerlandais, venus étudier la question. Le choix des Pays-Bas pour cette mission d’investigation n’est pas un hasard, le pays ayant acquis une grande expérience en matière de gestion de l’eau, face au constant danger d’être envahi par la mer. Le lendemain de notre arrivée (en soirée, toujours par le pont Faidherbe illuminé), une rencontre avec l’adjoint du maire de la Commune de Saint-Louis nous a permis d’obtenir le compte-rendu de cette expertise étrangère. Deux solutions urgentes, à réaliser à court terme, ont ainsi été proposées : la première consiste à baliser le passage des pêcheurs pour offrir une voie de navigation plus sûre ; la seconde préconise la mise en place d’une digue de protection pour canaliser l’eau et éviter l’érosion. Construire une solution durable à plus long terme est indispensable mais cela demande plus d’études afin de prendre en considération tous les facteurs (vitesse d’érosion, composition du sol, déplacement de la mer et du fleuve, déplacement de la brèche, etc.), pour arriver finalement à la stabilisation de la brèche à une largeur d’un kilomètre.

Dans l’immédiat ou même à long terme, tous les intervenants sont unanimes pour affirmer que la fermeture de la brèche n’est pas une solution envisagée. À l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, des équipes de recherche travaillent sur la question depuis plusieurs années. Si une collaboration internationale semble essentielle, la nécessité d’utiliser et de développer l’expertise locale l’est tout autant. Un colloque sur la brèche est par ailleurs prévu en mai/juin 2015, de façon à harmoniser les décisions des experts, recueillir le plus de données et d’avis possible, afin de mieux appréhender la situation et éviter les conséquences désastreuses d’une mauvaise décision. Les conclusions pourront ainsi être présentées lors de la 21e Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

Les solutions sont fortement attendues par la population, qui se dit ouverte aux propositions qui seront faites. C’est à la Mairie de Saint-Louis que revient la lourde charge de sensibiliser les communautés locales, particulièrement les pêcheurs. Le hic, est qu’on estime le coût des travaux à environ 100 milliards de Francs CFA, sans compter les charges imprévues risque ! Une somme pour le moins considérable pour le pays.


Toujours debout, il témoigne.

Le scénario catastrophe

Quelques tenants prônent la solution de ne pas s’occuper de la brèche et de laisser l’environnement se stabiliser lui-même. Mais jusqu’où cela ira-t-il ? Il est impossible de prévoir véritablement la réaction de la brèche et quelles pourraient en être les conséquences. Laisser le problème prendre de l’ampleur signifie aussi ne plus pouvoir agir pendant qu’il en est encore temps. La plus grande menace se trouvant au niveau de la salinisation de l’eau et des terres, entrainant la perte de plusieurs hectares de terres cultivables, ce qui aurait un impact considérable tout autant sur l’environnement que sur l’économie de la région. La disparition de la Langue de Barbarie rendrait par ailleurs l’île de Saint-Louis particulièrement vulnérable aux changements climatiques et à toute hausse du niveau de la mer. La population de la commune est estimée à environ 300 000 habitants, dont 150 000 seraient en situation de précarité. Un scénario redouté par les autorités...


Ameth Sene Diagne et un de ses fils conduisent Marie-Anne O’Reilly sur les vestiges de leur village

Une balade en pirogue

Dans le bureau de la mairie la solution semble sous contrôle, ou du moins en voie de l’être ! C’est une autre réalité que l’on découvre sur le terrain. Pour prolonger la version officielle, nous nous sommes rendus au village de Diele Mbame pour rencontrer Ameth Sene Diagne, chef du village de Doune Baba Dieye, enseveli en 2011 par l’avancée de la mer. Ce sont 984 personnes qui ont dû être déplacées, laissées à leur propre sort, sans aucune aide financière. Les terrains proposés, situés dans une autre commune en banlieue de Saint-Louis, étaient inadaptés. Les habitants du village se retrouvaient sans accès au fleuve et sans terre cultivable, alors que leur subsistance repose sur la pêche et les activités maraîchères. Les habitants de Doune Baba Dieye se sont alors tournés vers le village de Diele Mbame, qui a bien voulu les accueillir. La population a dû racheter terrains et maisons, sans recevoir aucune compensation.

Très actif dans sa communauté, Ameth Sene Diagne travaille depuis plusieurs années au reboisement de la mangrove sur les berges du fleuve Saint-Louis, une solution naturelle et efficace qui aide à freiner le phénomène de l’érosion. Jusqu’à maintenant, c’est une surface de plus de 60 hectares qui a pu être reboisée. Un résultat que nous avons pu observer par nous-mêmes alors que l’ancien chef de village nous amenait en pirogue sur la Langue de Barbarie pour visiter les vestiges de Doune Baba Dieye.

Le paysage est saisissant. D’une largeur de 800 mètres au départ, la Langue de Barbarie n’en fait maintenant plus que 200. Sur l’étroite bande sableuse qui reste, difficile de croire qu’il y a à peine cinq ans, cette étendue désertique était recouverte de champs. En arrivant à l’emplacement de l’ancien village, nous pouvons apercevoir les ruines d’une maison, la seule qui soit encore debout. Un peu plus loin, deux murs témoignent encore de l’existence d’une école. Le regard au loin, Ameth Sene Diagne fixe l’océan et pointe son doigt sur les branches d’un arbre qui sortent des flots, en plein milieu de l’étendue d’eau. C’est là que se trouvait sa maison, dont il ne reste maintenant plus rien… Autour de nous, trois de ses fils qui nous ont accompagnés courent et s’amusent entre le sable et la mer. Ils sont nés au village de Doune Baba Dieye, mais ils n’auront jamais la chance d’y grandir et d’habiter sur les terres de leurs ancêtres… À la grande tristesse de leur père. Celui-ci espère toujours pouvoir revenir vivre à Doune Baba Dieye avec ses enfants. Qui sait si son rêve pourra devenir réalité…


Au temps pas si lointain de vacances au campement Océan & Savane (Ph : aimablement prêtée par herdcarlier)

De retour sur le continent, nous nous dirigeons cette fois vers Ndebene Gandiol, d’où, depuis la rive, nous pouvons constater les dégâts causés par l’ouverture de la brèche naturelle. Là, se trouvaient autrefois deux sites d’hébergement touristique. Aujourd’hui il n’y a plus que l’océan à perte de vue. Seules quelques branches surgissant de l’eau ici et là indiquent qu’il y avait bien là auparavant un lieu habité. Devant nous, il ne reste plus rien des campements El Faro et Océan & Savane. À l’automne 2012, quelques semaines après l’ouverture de la brèche, un couple d’amis avait résidé à cet endroit le temps d’une fin de semaine à Saint-Louis. Sans imaginer qu’il n’existerait plus six mois plus tard... Les dégâts causés par l’érosion rapide de la Langue de Barbarie se font largement ressentir dans toute la commune de Gandiol.


Ndebene Gandiol, difficile de croire à la présence de batiments en dur, à l’horizon, pourtant...

Plus loin, les villages de Keur Bernar, Pilote bar, Mouit, Tassinére et Mboumbaye sont aussi menacés d’être ensevelis par l’avancée de la mer. Leur futur est incertain et les villageois appréhendent de devoir quitter leurs terres. Plusieurs citoyens sont d’ailleurs plutôt mécontents de la situation, affirmant qu’on a mis de nombreuses communautés en péril en voulant sauver l’île de Saint-Louis. Les mesures d’aide sont insuffisantes, pour ne pas dire inexistantes, et surtout inadaptées aux populations visées. Si la version officielle présentée par la mairie se dit fière des logements sociaux mis à la disposition des populations vulnérables, du côté des principaux intéressés c’est un drame humain qui se vit, avec la perte de leurs activités économiques de subsistance, mais surtout de leurs racines…

De façon tout à fait appropriée, la galerie de l’Institut français à Saint-Louis accueillait pendant notre séjour une remarquable exposition photographique, signée Bastien Defives, sur l’érosion du littoral au Sénégal. Le phénomène est présent en différents endroits de la côte. Les superbes images montrent bien les enjeux environnementaux actuels, mais aussi la mobilisation des communautés locales pour freiner le phénomène. De fait, l’érosion est un problème écologique qui touche plusieurs régions du monde et le Sénégal ne fait pas exception à la règle. L’avancée de l’océan sur les berges est un enjeu on ne peut plus actuel, dévorant chaque année un peu plus de terrain. Ce qui rend la situation de Saint-Louis particulièrement préoccupante, c’est la vitesse à laquelle la brèche se déplace et prend de l’ampleur. Sur les quelques centimètres perdus ailleurs chaque année, on parle ici en terme de centaines de mètres annuellement, ce qui rend la nécessité d’agir d’autant plus urgente.

Que restera-t-il de ces 25 km de terre sableuse lors de mon prochain passage à Saint-Louis ? Impossible encore de le savoir… On a le cœur d’autant plus serré en quittant le fleuve, que nous ne savons pas si nous aurons la chance de revoir ces paysages....


Question de déchets…

J’en conviens, tout au long de notre séjour à Saint-Louis, ce n’est pas tant cette question de la Langue de Barbarie qui me préoccupait tant… Il faut dire qu’il s’agit d’un mal invisible qui gruge tranquillement son terrain, alors qu’un autre beaucoup plus visible nous sautait aux yeux dans toutes nos promenades. Tout autour de l’île, les berges du fleuve Sénégal sont abondamment polluées, de déchets de toutes sortes, mais particulièrement de sacs en plastique. Une situation qui apparaît tout autant préoccupante que personne semble y porter attention et vouloir agir de ce côté. Pourtant, dans un avenir proche, ce pourrait bien être cette pollution qui cause davantage de tort à l’activité de la pêche. Il y a bien de temps à autre des corvées de nettoyage des berges qui sont organisées, principalement des initiatives citoyennes, mais elles restent sporadiques et ne peuvent à elles seules enrayer le problème. La qualité de l’eau est compromise et la santé publique aussi… Il serait peut-être temps de se mettre à l’action !


Une corvée de nettoyage au coeur de Saint-Louis. Indispensable et louable mais tellement insuffisant !

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