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Carnets Vanteaux continue autour des microfictions 1/2

Carnets Vanteaux continue autour des microfictions 1/2

9 février 2021 - par Denis Courivaud 
 - © Pixabay - guard113
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La page Carnets Vanteaux continue autour des microfictions

Chaque semaine, les étudiants de FABLI écriront une microfiction inspirée d’une consigne différente, réécriture d’un texte, écriture à partir d’une chanson, d’un tableau.

Nous commençons par la réécriture.
Pratique ancienne recommandée par les Arts poétiques au Moyen Âge, la réécriture ne consiste pas à paraphraser, à traduire librement ou à commenter un texte littéraire. Il s’agit d’une imitation qui cherche à donner une nouvelle forme à une matière déjà existante. Pendant des siècles, la réécriture a été le visage de l’invention littéraire, le chemin emprunté par la littérature pour créer son propre univers tout en s’adossant à une tradition. La littérature enfante la littérature.

Écrire, cela commence toujours par lire.
Réécrire, c’est lire en laissant l’oreille interagir activement avec le modèle afin de relancer certains de ses effets et faire siennes ses lignes de force qui vont renaître dans une voix nouvelle.

Milena Makarius (FABLI)


Consigne

Réécriture d’une microfiction de Régis Jauffret, « Alcoolisme et enseignement » (Microfictions, éd. Gallimard, 2007, Folio, p. 13-14). Voici son début :
« Je suis enseignant. Je méprise mes élèves comme un patron ses employés. Si j’avais hérité une fortune de mon père, au lieu de ce deux-pièces spacieux comme une paire de pot de yaourt, je n’aurais pas à subir leur jeunesse radieuse et révoltante pour un quinquagénaire déglingué en route vers la vieillesse et la mort. Le lycée où j’enseigne est situé dans un quartier bourgeois de la capitale. Les parents ne se soucient guère des performances de leurs rejetons. Il leur suffit d’user de leurs relations, pour qu’en fin d’année le proviseur reçoive un coup de téléphone impératif d’un ministre ou du rectorat, lui enjoignant de les faire passer en classe supérieure. Malgré tout, j’aime mon métier. A cause des vacances, des grèves, des congés maladie. En outre, je peux donner mes cours en étant presque saoul, sans que l’administration ne m’adresse le moindre blâme. (…) »

Par Milena Makarius


L’ALCOOLISME COMME SOLUTION A LA CRISE ÉCONOMIQUE

Je reviens du futur. Là-bas, je méprise toujours ceux qui réussissent comme un cocu l’amant de sa femme. Mais le reste est plus positif. Dans les années 2030, une nouvelle technique de distillation a fait grandement chuter le coût de production de l’alcool et le consommateur s’est vu doté d’un pouvoir d’achat très avantageux. Les grands gagnants de cette baisse des prix furent les producteurs d’alcool. Car il faut ajouter que sa consommation s’envola dès le milieu des années 20 quand, confrontés à un chômage de masse sans précédent, les gouvernements furent contraints de mettre en place un revenu universel européen. « Universel » et « européen » semblent antinomiques, mais comprenez bien que les limites de l’Univers sont celles de l’Occident pour la plupart des politiciens. Bref, l’inactivité européenne avait entraîné un alcoolisme de masse et la baisse des prix quelques années plus tard conforta le Vieux Continent dans cette voie. Ainsi commença l’Âge d’Éthanol.

Les chemins du bonheur sont ceux du rhum
Buvons à nouveau notre premier vin
Repartir de zéro comme les fils de Rome
La soif me chuchote que ce n’est pas la fin.

Voici ce que l’on entend au sommet du top 50 en 2046, année de laquelle je reviens. Là-bas, je suis enseignant. J’ai assisté à un de mes cours : les élèves sont généralement aussi saouls que moi, alors les séances se déroulent plutôt dans le calme. Il m’a fallu quelque temps pour me faire à l’idée qu’une société d’alcooliques était, in fine, une très bonne solution aux grands enjeux sociétaux de notre Temps. En 2046, la criminalité est quasi nulle et la TVA sur l’alcool finance en grande partie le Revenu Universel. L’état d’ébriété général a fait baisser de manière drastique l’utilisation des moyens de transport individuel, ce qui a permis d’atteindre très rapidement les objectifs des Accords de Paris sur le Climat. Enfin, la baisse de la durée de vie moyenne engendrée par la forte consommation d’alcool a eu un effet très positif. À l’époque où j’écris ces lignes, en 2021, c’est un sujet tabou, qui ne fut abordé que partiellement par des intellectuels socialistes comme Jacques Attali. Ainsi, dans un système néolibéral comme le nôtre, l’humain a une date de péremption socio-économique. Un jour, il se réveille et ne produit plus assez de richesse : il coûte à la société. Depuis le milieu des années 2035, à peu près, cette date de péremption n’est que rarement atteinte. Ainsi, l’Europe a connu un rebond économique historique et s’est sortie d’une crise majeure. Tout cela grâce à ce nouveau paradigme sociétal qu’est celui de l’Alcool.
Mais de 2046, j’ai surtout gardé cet air de musique mi-électronique, mi-rap qui ne fait que me revenir en tête depuis que j’écris ces lignes :

Les chemins du bonheur n’ont pas tous une fin
Je n’ai pas oublié notre première ivresse
Repartons de zéro au pays du destin
Là où chantent les mots et dansent les caresses.

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