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Carnets Vanteaux - Le Jardin

Carnets Vanteaux - Le Jardin

25 octobre 2021 - par Marion Daure 
 - © pixabay - Comfreak
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Consigne : "Lire en levant la tête" :
Ecrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme.

(Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33 : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? »).

Je suis un magnifique jardin immense et verdoyant
Qui s’étend au milieu des immeubles et des tours de béton.
Cerné d’avenues bruyantes et entrecroisées,
Je me cache derrière un portail et une longue allée.
Je suis une clairière de conte de fées perdue dans la modernité.

J’accueille en mon sein un corps de ferme depuis longtemps oublié,
Des chênes et des châtaigniers,
Un petit potager le long du muret,
Et Walid et Anna qui viennent de se marier.

Je porte les premiers pas d’Ilyès tanguant
avec la grâce fragile des tout jeunes enfants.
Je souffle sur la brise, je joue avec les feuilles qui filtrent le soleil,
J’exhale les parfums sur la petite Lila blottie dans son couffin.

Je suis les rires des enfants qui jouent,
De leurs copains qui vont qui viennent,
De cette marmaille vivante qui me traverse,
Je bois la joie de leurs parents.
J’ouvre les champs de l’imagination,
Je devins labyrinthe ou océan,
Bois peuplé d’ogres ou terre vierge.
Mais qu’un petit s’ouvre le genou,
Le sang, les larmes qui se répandent,
Quand mes cailloux deviennent des armes,
Je me rétracte et baisse la tête.

Je déteste la pluie ou le soleil de plomb
Qui me vident des miens et me renferment sur moi.
Je m’embellis de roses et me pare de lys, je fais monter le figuier, j’étoffe le camélia,
Je suis l’amant d’Anna qui prend bien soin de moi.
J’offre les grandes tablées d’été, la famille et les amis,
Qui entourent la bonne humeur et les chants de Walid,
Tous en mon sein, dans une grande liesse, réunis.

Les ballons rouges s’envolent pour rejoindre Lila.
Je ne reçois plus que des larmes et un silence de mort.
Tous les soirs Anna s’installe mais ne me regarde pas
Ilyès et Walid ne peuvent plus rester là.
J’ai de la peine pour eux, j’ai de la peine pour moi.
L’hiver me traverse, froid cinglant et tristes silhouettes.
J’attends chaque année la neige qui ne veut plus tomber,
Les pieds qui crissent et les hurlements ouatés
D’Ilyes et de Lila, d’Anna et de Walid,
Qui se bombardaient de boules et se couraient après.

Je suis un immense jardin dévoré par les arbres, plongé dans les ténèbres,
Perdu au milieu des immeubles et des tours de béton.

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