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Révolution en Biélorussie - Libre expression

Révolution en Biélorussie - Libre expression

6 septembre 2020 - par Arnaud Galy 


Il était une fois... un pays méconnu du reste du monde. Toujours sous l’emprise des uns ou des autres depuis l’an 1000 où pour la première fois le nom de sa capitale, Minsk, apparut dans les chroniques. Les anciens du pays vécurent une grande partie de leur vie sous le régime qu’on disait soviétique. Un mélange de tentatives d’égalitarisme forcené et d’épouvantables répressions. En l’an 1986, le pays fut frappé de plein fouet par l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl pourtant sur le sol du voisin ukrainien. Mais aucun esprit clairvoyant ne peut penser que les radiations s’arrêtent aux frontières ! Puis, la discrète Biélorussie vit tomber le moribond système soviétique. L’anonymat est resté de mise, seulement embelli par quelques hivernales médailles olympiques et, excusez du peu, un prix Nobel de littérature en la personne de Svetlana Alexievitch.

Ce grand pays forestier où les lynx, les loups et les bisons vivent en liberté, eux, est sous la domination d’un homme. Attention, pas n’importe quel homme. Un fort. Un qui s’habille volontiers en uniforme militaire pour exhiber son pouvoir. Depuis 26 ans, ce moustachu viril bien qu’un peu rondouillard, dirige en ignorant le reste du monde, excepté le «  grand frère » russe d’à côté, qui bien qu’en déconfiture économique totale continue de faire peur. Il faut dire qu’à coup de poisons et de jugements trafiqués le président russe connait peu de contradicteurs. Mais revenons à notre histoire... N’ayant probablement pas bénéficié de toutes les informations, le moustachu biélorusse ne semble avoir eu connaissance ni de l’effondrement de ce fameux régime soviétique ni de l’événement que même les pingouins de l’Arctique connaissent sur le bout des palmes, la chute d’un Mur dans la ville allemande de Berlin. Alexandre Loukashenko, c’est son nom, s’est toujours imposé en Père, bienveillant mais sévère, de son peuple. Mais les années passent... les jeunes ne connaissent que lui, son omniprésence à la télévision d’État devient lassante. Même les anciens se permettent de penser qu’un peu de sang neuf serait bienvenu. Cultivant son image « bonhomme », Alexandre organise régulièrement des élections. Le risque de perte du pouvoir est minime puisqu’il calcule lui-même les résultats et que quelques coups de matraque bien placés remettent de l’ordre dans la tête des inconscients contestataires. Le Monde sait bien ce qui se passe dans cette partie de l’Europe orientale, mais, disons-le tout net, qui s’en préoccupe ? Parfois quelques défenseurs des droits humains. Comme en l’an 2012, quand un petit avion suédois venu de la voisine Lituanie s’est faufilé entre les angles de vue des gardes-frontières et à parachuté en terre biélorusse un millier de petits ours en peluche remplis de messages pro-démocratie ! Saperlipopette, Alexandre n’a pas aimé du tout l’affront fait à Sa Grandeur ! Deux généraux en ont fait les frais. Qui sait jusqu’où le thermomètre est tombé ?

Seulement voilà... le peuple biélorusse a décidé de se prendre en main. La moustache ne suffit plus à garder un pays stable. Profitant d’une élection d’opérette, où Sa Grandeur ne s’est accordée que 80 % des voix, la jeunesse promptement suivie par les anciens a sifflé la fin du jeu. Des marées humaines aux couleurs rouge et blanche de la Biélorussie d’antan sont descendues dans les rues. Pétries d’un pacifisme que d’aucuns peuvent juger candide, les femmes sont montées à la charge à coup de bouquets de fleurs. Va-t’en criaient les unes ! Démission scandaient les autres ! Le soir venu, les manifestations terminées, les révoltés nettoyaient les rues, dignité oblige. La garde présidentielle a réagi avec une barbarie sans nom, les centres de détention se sont remplis comme des boites de sardines. Matraques, tabassages en règle et rafles. Sur les doigts d’une main se comptent les morts, peut-être un peu plus, qui sait vraiment ? Des dizaines de disparus sont attendus par les familles. Qu’importe, le blanc, le rouge et les fleurs sont de sortie samedi après samedi, dimanche après dimanche.



Les voisins, Russes et Européens, regardent l’événement d’un œil méfiant. Le Vladimir russe prie tous les Saints de l’Orthodoxie pour que pareil mouvement ne se déclenche pas un jour venu chez lui. Au cas où la tempête biélorusse envahisse la Sainte Russie il prépare une force militaire de réserve, juste au cas où... Et cerise sur l’assiette de sarrasin, malencontreusement son principal adversaire politique, Alexei Navalny, s’empoisonne, sauvé in extremis par le gouvernement allemand qui le fait transférer dans un hôpital berlinois. Pas de chance.

Poutine et Loukachenko se tiennent par la barbichette. Qui cèdera le premier ? Loukachenko doit – devrait – signer un document qui permettrait à Poutine d’encore mieux contrôler la Biélorussie, mais il tarde à signer sachant bien qu’il ne sera alors plus qu’un valet sans pouvoir. Poutine fait-il un brin de chantage en tendant le stylo à son vieux compagnon l’assurant de tout son soutien en cas de signature, ajoutant que miraculeusement les prix du gaz et du pétrole livrés par la Russie baisseraient sensiblement ?
Les Européens, eux, sont très divisés. Demander à un Portugais de réagir de la même manière qu’un Balte ou un Polonais est un défi inaccessible. La France et l’Allemagne font les gros yeux, mais à l’abri derrière sa moustache, Loukachenko ne voit rien, n’entend rien... Pire, il paraît que sincèrement, il ne comprend pas pourquoi, lui qui est si bon, est autant détesté par son peuple. La rue ne l’appelle plus le Président, mais l’ex-président. S’entendent aussi des sobriquets plus incisifs : usurpateur, criminel, psychopathe ! Diantre, ça tremble.

Ni une ni deux, les bonnes vieilles recettes soviétiques sont remises au goût du jour. D’abord, s’occuper des journalistes. Suspendre les autorisations et accréditations des correspondants étrangers, dehors les agences internationales, dehors les grands médias. Les journalistes en question, 17 semble-t-il, ont interdiction d’entrer sur le territoire biélorusse pendant 5 ans. Les journalistes locaux qui travaillaient déjà en temps « normal » dans des conditions périlleuses ont le choix entre la démission et la mise à l’écart. Sur les écrans de télévision, les présentateurs des journaux sont remplacés par des professionnels de la propagande, anonymes et russes. Aucun Biélorusse ne se laisse abuser, les «  pauvres » Russes ne parlent pas biélorusse et ne savent même pas comment les autochtones prononcent le nom de leur pays. Il arrive même que, malgré toute leur bonne volonté, ils confondent le biélorusse et l’ukrainien dans les textes écrits sur les bandeaux au bas de l’écran. Pantalonnade totale.

Le grand changement par rapport au temps béni du soviétisme où l’URSS pouvait vivre en quasi-autarcie, est qu’en l’an 2020, internet et les téléphones intelligents déversent des quantités d’images à la vitesse de l’éclair. Les rafles policières ne se font plus lors des manifestations. Trop voyant ! Pratiquant le concept de la terreur, les troupes à la solde de l’ex-président arrêtent des bus lambda, remplis de braves gens qui rentrent chez eux la nuit venue. Rafler, rafler il en restera toujours quelque chose... surtout il n’y a pas d’images.



L’ex-président, lui, poursuit sa route. Est-il sourd et aveugle ? Lui qui sort de son palais, kalachnikov en main, épaulé par son fiston de 15 ans pour informer le peuple qu’une puissance étrangère s’apprête à lancer une bombe atomique sur le pays. Lui qui commente les manifestations gigantesques en qualifiant les protestataires de drogués, prostituées et autre alcooliques... ou alors de supporters du club de foot du Spartak ! Ne voit-il pas les usines s’arrêter et la maigre économie s’effondrer. Déjà que les camions ou les bus fabriqués dans le pays étaient souvent troqués contre des céréales ou d’autres marchandises à certains pays africains nostalgiques d’un communisme dur. Si, tout s’arrête, sur quoi les escrocs locaux vont-ils faire leur beurre ? Imaginez-vous qu’une professeure d’université gagne 150 euros par mois quand tout va bien, qu’un appartement standard se loue 200 euros et une boite de paracétamol fabriquée en Russie coûte 5 à 10 fois plus cher à Minsk qu’à Varsovie. Votre esprit est-il assez imaginatif pour assimiler que les ouvrières d’une usine de bottes en caoutchouc ou de tapis sont payées en bottes en caoutchouc ou en tapis ? Charge à elles de les revendre pour récupérer quelques billets ! Des billets qui à ce jour n’existent plus dans les distributeurs. Quant à trouver des euros ou des dollars en banque... n’y pensez pas. Finalement seule une poignée de « chefs » se paye en monnaie sonnante et trébuchante. Pour un pays nostalgique d’un communisme d’antan, c’est cocasse ! Comme le système économique n’est absolument pas construit dans un but de rentabilité et que certains, minoritaires, remplissent des comptes en banque en Russie ou dans des états accueillants il faut bien que ce soit le peuple qui « casque » ! D’où des impôts de folie sur les entreprises privées, des amendes pour tout et n’importe quoi sans oublier l’impôt dont doivent s’acquitter les chômeurs pour cause d’être chômeur ! Encore une anecdote qui démontre l’absurdité du système. Quand une entreprise d’État emprunte de l’argent à ce même état, elle dispose de 5 ans pour le rembourser. Si elle est dans l’impossibilité d’acquitter sa dette dans ce délai, le généreux État repousse de 5 ans. Puis, en cas de non-remboursement, la dette est annulée. L’argent, lui, doit dormir tranquillement au soleil ou à Moscou.

Par ces temps révolutionnaires, si l’économie du pays est à la peine, que dire des travailleurs en grève ou licenciés, que vont devenir les commerçants, les retraités sans pension et les fonctionnaires sans paye ? Tout le monde n’a pas la chance de travailler pour une société du numérique basée aux États-Unis. Si le conflit entre pouvoir et peuple s’éternise, qui craquera le premier ? Côté peuple, on s’organise. Ceux qui ont de l’argent donnent. Simple non ? Ceux du numérique, la diaspora et des anonymes font pousser des cagnottes comme les champignons dans les forêts du pays. En quelques jours, l’équivalent de 3 millions d’euros a été récolté pour soigner les matraqués sortis de prison. Solidarité. À la frontière polonaise, ce mot n’en finit pas de résonner et les Biélorusses de Pologne donnent et travaillent à entretenir l’espoir. Ceux qui parlent plusieurs langues ont entrepris de traduire les informations non étatiques venues de Minsk et des régions afin de les envoyer à la presse internationale. Même si le pouvoir a fait fermer des sites d’information privés, l’analogie avec les champignons reste valable.



Il était une fois... un effet secondaire et positif du COVID-19
Sans le vouloir, l’ex-président a fabriqué de toutes pièces la révolution qui le fait vaciller. Lorsque le COVID-19 a fait son apparition en Europe, Loukachenko n’a pas seulement hésité à mettre en place des mesures, comme quasiment tous les gouvernants du monde, il a interloqué par ses prises de position... le virus n’existe pas puisqu’on ne le voit pas ; il suffit de boire de la vodka... Très vite le peuple s’est rendu compte qu’il ne devait rien attendre de l’État. En quelques semaines les Biélorusses habitués à vivre pour eux et pour leur famille ont réalisé que face au virus ils devaient se comporter en société. Être une société. Ils se sont auto-appliqués des mesures barrières et ont développé des actions d’entraides. Quelques semaines ont suffi pour qu’ils réalisent collectivement que le pays tournait même quand l’État les abandonnait et que leur président délirait en direct à la télévision ! Puis vinrent les élections présidentielles. Loukachenko n’avait plus aucun crédit. Les arrestations des opposants ne suffirent pas à contrôler le dérapage en cours. Pour la première fois de leur histoire, en masse, unanimement, les Biélorusses eurent l’outrecuidance, la fierté, le courage de vouloir construire un pays qui leur ressemble. Ils sont partis à l’assaut de la forteresse, armés de téléphones portables et de fleurs. Tiendront-ils le temps que la forteresse s’écroule ?

Immenses remerciements à Katia IV et Ivan II, des francophones biélorusses qui fournissent sous le couvert de l’anonymat des informations à Agora francophone.

La rédaction d’Agora francophone envoie de confraternelles excuses au photographe qui a pris le cliché qui ouvre cet article, impossible de trouver son nom.

Arnaud Galy remercie Katia I, Katia II, Katia III et Ivan I qui ont permis l’écriture des articles précédents.

A lire : Quand le pays de Chagall s’éveillera et Effondrement brutal ou lent pourrissement ?

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